Deux véhicules blindés Griffon ont été livrés ce mardi à la Belgique dans le cadre du partenariat CaMo, les premiers d’une flotte visant à moderniser la Force Terrestre belge et à construire l’interopérabilité avec ses partenaires français et luxembourgeois. Et la concrétisation d’un partenariat industriel entre KNDS France et la filière belge appelé à se renforcer, alors que s’esquissent de nouvelles commandes de véhicules SCORPION tant côté belge qu’ailleurs en Europe.
Exit le hangar vide et son sol en terre battue, les 5500 m2 de l’atelier construit par Mol Cy sont aujourd’hui remplis de blindés 6×6 Griffon en cours d’assemblage final. Livrée en décembre 2024 par KDNS France, la première base roulante de Griffon – la BRAVE – est désormais un véhicule de combat prêt à défiler le 21 juillet sur la place des Palais pour la Fête nationale belge.
« Cela devient concret pour nos militaires », déclarait Theo Francken, un ministre de la Défense belge « très content d’avoir les premiers Griffon ». Ces Griffon « sont le résultat tangible d’une coopération stratégique entre la Belgique et la France », poursuivait le chef de la Direction générale des ressources matérielles (DGMR), le lieutenant-général Filip Borremans. Ils seront suivis de centaines d’autres, autant d’équipements qui viendront renforcer une alliance franco-belge engagée en 2018 et amorcée depuis longtemps dans les domaines de la formation, de l’entraînement et de la doctrine.
Au total, 406 Griffon déclinés en 11 variantes sortiront du site flandrien, dont 24 Griffon « mortier embarqué pour l’appui au combat » (MEPAC). Ceux présentés ce mardi relèvent du transport de troupes FELIN. Suivront des variantes poste de commandement et ambulance, en attendant l’arrivée de Griffon MEPAC programmée pour 2027. Tous, à l’exception du Griffon MEPAC, viendront remplacer les Dingo 2 et une partie des Piranha IIIC de la brigade motorisée d’ici à 2030-2031. La DGMR prévoit de réceptionner 19 Griffon d’ici fin 2025, dont 15 auront été confiés au Centre de compétence Terre (CCLand).
Derrière « le symbole de la puissance de la coopération entre deux pays, deux armées et deux entreprises », ces Griffon sont aussi le résultat d’un travail d’équipe franco-belge, soulignait pour sa part Lieven Neuville, co-managing partner de Mol Cy. Si celui-ci pilote l’intégration finale et les essais, Thales Belgium se charge d’installer des équipements de communication et FN Herstal d’intégrer des tourrelleaux téléopérés T1B et T2B. La Belgique en a acquis suffisamment pour armer 330 de ses Griffon, première tranche d’une commande globale qui pourrait atteindre jusqu’à 700 tourelleaux.

« Ces Griffon symbolisent la transformation de la Défense belge », notait le chef de la Défense (CHOD), le général aviateur Frederik Vansina. Quatre bataillons d’infanterie en seront équipés. Premier doté, le bataillon Libération – 5e de Ligne (Bvr/5 Li) s’y prépare depuis le début de l’année. Sa transformation se matérialisera sur un pas de deux ans. En 2025 avec la formation d’équipages, de sous-officiers et d’officiers en France et la préparation de deux premières compagnies et d’éléments d’appuis à partir des matériels en service. Puis, en 2026, avec la transformation effective des compagnies initiales sur les équipements SCORPION, cette fois en territoire belge.
À l’instar des régiments français, ce cycle se clôturera fin 2026 par une période de restitution de la transformation SCORPION (PRETS) conduite par la Force d’expertise du combat SCORPION (FECS) sur le camp de Mailly, dans le nord-est de la France. « Dès l’année prochaine, une compagnie belge pourra s’intégrer dans une unité française dans adaptation préalable. C’est là une avancée majeure », observait le commandant en second de la Force Terrestre, le colonel BEM Sven Serré.
Les trois autres bataillons d’infanterie suivront entre 2027 et 2029. Les deux bataillons de cavalerie suivront à compter de l’an prochain et de la réception des premiers engins Jaguar. Eux aussi entameront leur bascule sur base d’un premier escadron. Pour tous, la transformation continuera en fin de décennie au profit des compagnies, escadrons et appuis restants, une seconde phase dont l’aboutissement sera une Force Terrestre pleinement « scorpionisée » à horizon 2032. L’interopérablité matérielle avec l’armée de Terre sera alors maximale.
Six ans après un contrat CaMo 1 conclu pour 12 ans, « la France sait désormais de quoi notre industrie est capable », indiquait le ministre de la Défense belge. Le message n’a rien d’anodin, à l’heure où la Belgique cherche à formaliser et étendre les contreparties industrielles pour développer sa filière de défense nationale. KNDS France s’est dès l’origine engagé à amener de la valeur en Belgique, et ce malgré l’absence de clause contraignante dans l’accord intergouvernemental (AIG) formalisé en novembre 2018 par Bruxelles et Paris.
Les deux axes d’effort mis en place lors des contrats CaMo 1 et 2 et « se déroulent conformément au plan », relevait le PDG de KNDS France, Nicolas Chamussy. Fin 2024, 101% des projets prévus via CaMo 1 étaient réalisés ou engagés, soit 741 M€ générés sept mois avant la livraison du premier Griffon. Et près d’un quart des engagements pris au travers de CaMo 2 se sont déjà concrétisés ou sont en cours pour plus de 262 M€, assure l’entreprise française. CaMo irrigue aujourd’hui 22 entreprises du nord et du sud de la Belgique, un écosystème que d’autres pourraient rejoindre par la suite.
Ce hiatus concernant les retours sociétaux, la Belgique cherche à le corriger au plus vite par un nouvel accord de gouvernement à gouvernement. « Nous sommes demandeurs d’un meilleur équilibre dans le domaine industriel entre la Belgique et la France », a rappelé un ministre belge néanmoins satisfait des « négociations fructueuses » tenues avec son homologue français, Sébastien Lecornu. Plutôt qu’un nouvel AIG, il serait question de préciser et de compléter certains pans du document existant pour garantir ce rééquilibrage industriel. Étendues à l’échelon des chefs d’État et de gouvernement, les discussions se poursuivent afin de parvenir à un accord « dans les plus brefs délais ». Dès septembre, espère-t-on du côté du cabinet ministériel belge.

Message reçu dans les rangs industriels français. « Notre partenariat a vocation à se renforcer », annonçait Nicolas Chamussy. D’autres contrats sont sur la table côté belge, où une Vision stratégique renouvelée est sur le point d’être adoptée par le gouvernement. Celle-ci prévoit de nouvelles acquisitions de systèmes SCORPION. Deux offres ont été remises à ce titre par KDNS France quelques heures avant l’apparition des premiers Griffon belges. Confiées à la Direction générale de l’armement (DGA), chargée d’acquérir les matériels au nom du client belge, ces offres portent sur 92 Griffon supplémentaires et une tranche initiale de 123 blindés 4×4 Serval. Rattachée au contrat CaMo 1 de 2019, la première vise notamment à étendre le parc de Griffon EPC. La seconde ouvre la voie à la commande de plusieurs centaines de Serval. Son contenu n’est pas encore finalisé, mais la Force Terrestre mettrait à première vue l’accent sur des variantes de Serval permettant de combler ses trous capacitaires en matières de drones, de guerre électronique, de lutte anti-drones et de défense sol-air basse couche.
« Mol jouera à nouveau un rôle clef dans l’assemblage de ces véhicules, mais aussi pour les Serval que la France et la Belgique pourraient exporter au-delà de nos deux pays », précisait Nicolas Chamussy. Un exemple d’un nouveau plan de retour sociétal présenté hier par KNDS France au SPF Économie, ministère belge en charge du suivi des retours sociétaux. Cette charge supplémentaire, Mol Cy est prêt à l’accueillir. Sa ligne est dimensionnée pour produire jusqu’à 10 Griffon par mois, une cadence qui dépasse le rythme requis pour l’instant pour CaMo. Il y a donc dès maintenant une marge de manoeuvre à exploiter. « Nous sommes prêts à aller plus loin. Le site que vous visitez aujourd’hui a été conçu dès le départ pour une extension modulaire. Une deuxième ligne de montage peut être ajoutée à court terme si nécessaire, doublant ainsi notre capacité », expliquait Lieven Neuville tout en ne restreignant le champ ni au Griffon, ni au programme CaMo.
Cela tombe bien, car Mol Cy devrait être également mobilisé pour la production des véhicules SCORPION bientôt acquis par le Grand-Duché de Luxembourg pour armer le bataillon binational en cours de construction avec le voisin belge. Les 16 Griffon, 38 Jaguar et cinq Serval luxembourgeois se matérialiseront en effet au travers des vecteurs contractuels mis en place par la Belgique, configurations strictement identiques à la clef. Entre un premier client export satisfait, des besoins qui se multiplient et une réponse industrielle qui s’adapte en conséquence, les planètes s’alignent pour que le modèle franco-belgo-luxembourgeois se répande en Europe. « Je pense qu’il y a du potentiel pour l’étendre bien plus largement », estimait Nicolas Chamussy.