Entre les drones et les troupes de montagne, c’est encore une histoire à écrire. Derrière les questions de masse et d’évolutivité, les systèmes en service ne répondent que partiellement aux contraintes propres aux milieux montagne et grand froid (MGF), relevaient plusieurs militaires à l’occasion d’un sommet organisé en février dernier à Grenoble.
Changeant, dangereux, incertain, rugueux… les qualificatifs ne manquent pas pour décrire l’environnement de travail de la 27e brigade d’infanterie de montagne (27e BIM). Zone frontière, d’échanges ou sanctuaire, la montagne n’en reste pas moins un lieu dans lequel le drone aura vocation à évoluer. Les Alpins y voient autant d’intérêts que leurs « camarades des plaines ». Pour aller voir « au-delà de la colline » bien sûr, mais aussi pour aller y affaiblir un adversaire par des moyens cinétiques ou non, pour relayer, ravitailler ou encore évacuer. « Aujourd’hui, nous sommes déjà capables de travailler en MGF avec les drones dont on dispose », observait un officier supérieur du 7e bataillon de chasseurs alpins (7e BCA) au cours d’une conférence donnée en février dernier au Sommet international des troupes de montagne (SITM).
La dronisation de la 27e BIM se heurte néanmoins à plusieurs problématiques, dont certaines sont partagées avec le reste de la force opérationnelle terrestre (FOT). C’est le cas, premièrement, d’une massification nécessaire pour dépasser la dizaine de systèmes actuellement confiés à chaque régiment, chaque bataillon. Bien trop peu que pour doter chaque section, voire chaque groupe d’un vecteur permettant au moins de faire de la reconnaissance et du renseignement à son niveau. « Il va falloir multiplier par 10 la flotte », estimait ce lieutenant-colonel du 7e BCA. Se pose en parallèle la question du ratio entre densité et technicité, celle-ci ne faisant qu’accroître le coût à l’unité.
Autre besoin commun, la résistance au brouillage GPS ou radio adverse devra a minima être garanti sur une partie du parc. L’armée de Terre s’empare progressivement de drones FPV élémentaires et dépourvus de puce GPS mais dont le passage à l’échelle est encore à acter. Un segment relativement nouveau pris en main par le groupement commando montagne (GCM), qui planche sur des drones facilement réparables sur le terrain. Derrière l’intégration de l’intelligence artificielle, certains industriels progressent dorénavant sur le guidage par fibre optique, une solution qui se heurtera néanmoins aux obstacles propres à l’environnement montagneux, à commencer par sa verticalité.
La vision thermique, enfin, est un atout précieux pour déceler la présence d’adversaires par les traces qu’ils laissent dans la neige ou par un moteur ou des freins encore chauds. Elle doit cependant se généraliser et s’aiguiser, en misant ici aussi sur l’apport de l’IA. « L’interprétation image de ce que l’on voit à travers le drone est aujourd’hui un facteur limitant, parce qu’on voit beaucoup de choses mais encore faut-il tout voir pour pouvoir tout interpréter, tout transmettre et tout exploiter ».
Télépiloter en montagne n’a rien du sport de masse. Les facteurs limitants y sont légion. L’altitude n’en fait heureusement pas partie, comme l’a notamment montré le survol du Lhotse puis de l’Everest par un drone chinois DJI Mavic 3 Pro de quelques milliers d’euros. Les obstacles à franchir relèveront plutôt du vent, du froid et des nombreux masques naturels. Ainsi, le vent devient un défi à proximité de certains reliefs. L’effet Venturi fréquemment rencontré en zone montagneuse ne fait qu’accentuer l’exigence de drones robustes et d’une maîtrise accrue de la part télépilote.
Qui dit températures extrêmes dit engourdissement des mains du téléopilote, ralentissement de l’écran à cristaux liquides de la télécommande, apparition de givre sur les pales, etc. Dans le dernier cas, « c’est retour au sol assuré si ce n’est pas pris à temps ». Le froid réduira par ailleurs les performances des batteries et diminuera donc l’autonomie en vol. Les liaisons, enfin, sont contraintes par une multitude d’obstacles qui n’est pas sans rappeler celle du combat urbain. « Dès que le drone passe derrière un masque, la liaison radio est perdue », notait l’officier du 7e BCA. Et, en cas de coupure, le retour automatique vers la télécommande s’effectue au risque de percuter une paroi si l’altitude n’est pas prise en compte par le système. Bref, « je ne m’amuse pas à faire voler des micro-drones au sommet de cols en plein hiver. Ils ne voleront pas », insistait un autre intervenant lors d’une autre conférence du SITM.
Tout cela, la 27e BIM en a fait le constat lors de son dernier exercice annuel Cerces, organisé fin 2024. L’occasion choisie pour un challenge DRONEX qui aura vu les télépilotes de la brigade s’affronter et les micro et nano-drones en service atteindre leurs limites. Ici, pas de « naming and shaming » mais des retours d’expérience objectifs et précieux pour orienter les industriels du secteur dans la bonne direction. Des données affinées par la suite à l’occasion de l’exercice Quartz conduit en janvier dernier dans le Briançonnais par la 1ère compagnie de combat du 7e BCA.
Plutôt destiné au chef de groupe, le nano-drone Black Hornet 3 est en réalité peu employable en milieu MGF. Sa petite taille renforce la discrétion, mais au prix d’une stabilité en vol et d’une autonomie bien trop faibles, le rendant au final « assez peu utile ». Le Parrot Anafi USA remplit quant à lui 70-80% du besoin « parce qu’il vole plutôt bien en conditions MGF, est assez peu sensible à l’aérologie et sa caméra thermique permet de faire du renseignement ». Ses batteries s’avèrent en revanche « très sensibles au froid ». L’exercice Quartz aura permis de refiabiliser certaines données en matière d’autonomie. D’une trentaine de minutes en plaine, celle-ci chute à 18 minutes par grand froid malgré des batteries conservées au chaud. Et elle descend à 8 à 10 minutes de vol si celles-ci sortent du sac, quand elle ne se mettent tout simplement en défaut. Bien que confié à l’artillerie et au génie, le NX70 de Novadem se révèle « le plus adapté aujourd’hui au combat MGF », relève ce lieutenant-colonel du 7e BCA. Il Autour de 30 minutes d’autonomie en vol, ce qui « est satisfaisant pour les missions que l’on cherche à faire aujourd’hui ». S’y ajoutent « de très bonnes capacités vidéo jour et nuit ». Plus costaud, il aussi moins sensible au givre, ajoutait l’intervenant.
Les troupes de montagne ne manquent ni d’imagination, ni du dynamisme nécessaire pour pousser les expérimentations et poursuivre l’analyse fonctionnelle réalisée à l’issue de l’exercice Cerces. La bonne idée vient d’ailleurs parfois du rang. Pour gagner en autonomie, certains Géo Trouvetou en treillis proposent ainsi de détourner des boitiers d’emport de lunettes d’armement en y ajoutant un peu de mousse pour permettre l’emport du drone et de ses batteries. D’autres planchent sur un système comprenant une batterie annexe chargée de maintenir celles du drone en charge. D’autres encore parient sur la réutilisation d’une semelle chauffante de chaussure de ski pour maintenir les batteries à température.
L’industrie aura un rôle central à jouer pour poursuivre la dynamique. En amenant, entre autres, des batteries plus efficaces ou des pales résistantes au givre. Deux perspectives attrayantes, mais acquises à quel prix ? L’analyse de la valeur demeurera en effet centrale pour ne pas perdre de vue l’objectif principal de la massification, un équilibre d’autant plus complexe à atteindre dans un contexte budgétaire contraint. Derrière l’amélioration de l’existant, il s’agira également d’étendre un spectre d’emploi pour l’instant centré sur les « jumelles déportées » en allant chercher d’autres charges utiles différenciantes. Demain, il faudra effectivement aller faire du renseignement électromagnétique déporté et produire des effets cinétiques ou non. De là à détourner l’usage initial des drones FPV de reconnaissance exploités par le GCM et le 27e bataillon de chasseurs alpins (27e BCA), il n’y a qu’un pas en train d’être franchi.
Et les Alpins d’imaginer des « drones-relais essentiels pour envoyer le drone en combat montagne là où on en a besoin ». Ou encore de pousser ce besoin clairement identifié pour un drone mule ou de portage prometteur en matière de logistique. Nullement limité à la 27e BIM, un tel système serait bienvenu pour « porter au moins une dizaine, voire plusieurs dizaine de kg pour aller ravitailler en munitions, en vivres, etc. » un détachement en mission d’observation sur un point haut isolé, par exemple. Et, par là, éviter de s’exposer tout en préservant le potentiel humain. Certaines réflexions sont déjà engagées. Safran, entre autres, annonçait lors du SITM travailler en interne sur un projet de levage vertical à partir de deux drones de 10 kg capables de soulever jusqu’à 150 kg de matériel.
« Nous avons plein d’idées qui peuvent foisonner », annonce-t-on du côté de la 27e BIM. Tout le défi consistera à en tirer partie pour concevoir ce qui serait le drone idéal tant pour les troupes de montagne que pour le reste de la FOT : un modèle à la fois robuste et flexible, car capable d’évoluer tout en pouvant être produit en masse. « Le point à atteindre, c’est que chaque chef tactique, du niveau groupe jusqu’au niveau du bataillon, ait le drone qui corresponde à son niveau d’emploi. Plus on va monter, plus on sera sur des systèmes volumineux et complexes moins enclins à évoluer facilement et rapidement. Au plus on sera sur des petits objets, ceux du chef de groupe par exemple, au plus il va falloir accepter d’acheter, d’utiliser rapidement », résumait l’officier du 7e BCA.
Crédits image : armée de Terre