Alors que se profile l’ouverture imminente d’un nouveau front en Syrie, la Turquie qui a déjà fait usage du feu à sa frontière a déclaré vouloir participer à une intervention contre les forces de Bachar-al-Assad. FOB vous propose de faire le point sur les capacités terrestres turques. La Turquie s’est lancée dans un important programme de modernisation de ses forces armées. Avec un budget prévisionnel de 150 milliards de dollars sur 25 ans, « Force 2014 » vise non seulement à moderniser les capacités des armées mais également à assurer l’essor de l’industrie nationale turque.
La modernisation de l’outil de défense turc, financée à hauteur de 28% du budget alloué à la Défense, révèle la nouvelle politique militaro-industrielle d’Ankara, qui vise à réduire sa dépendance à l’égard des pays étrangers, États-Unis et Israël en tête, tout en développant une politique industrielle sur les marchés à l’export très agressive. Une stratégie qui s’est avérée payante: en 2012, l’industrie militaire turque a réalisé 4,3 milliards de dollars de chiffre d’affaires et a totalisé des exportations pour 1,3 milliard de dollars; lesquelles ont bondi de près de 35 % en l’espace d’un an. L’objectif est désormais d’atteindre les 2 milliards de dollars pour 2016-2017.
L’armée de terre : une priorité
la Turquie a toujours accordé une grande importance à son armée de terre, qui aligne pas moins de 390 000 hommes et femmes, ce qui fait d’elle la deuxième force terrestre otanienne, de par ses effectifs après celle des Etats-Unis. La modernisation de la Türk Kara Kuvvetleri concerne tout les systèmes d’armes, du fusils d’assaut au char de bataille, en passant par le génie. L’industrie nationale est très fortement impliquée dans l’effort de modernisation de la composante terrestre des forces armées turques, devenant de facto, un des grands exportateurs mondiaux de systèmes d’armes. En seulement quelques années…
Les Blindés lourds
Le programme le plus emblématique demeure le développement du char Altay, du nom du général Fahrettin Altay, héros de la guerre d’indépendance turque, dont FOB s’est déjà fait l’écho ici.
Relevons la participation sud-coréenne à ce programme, basée sur l’expérience accumulée par Hyundai Rotem avec le développement de son char K-2 Black Panther, ainsi celle allemande, qui fournit à la fois le moteur turbo diesel MTU de 1 500 chevaux et le canon Rheinmetall de 120/55 mm produit sous licence par MKEK (Makina ve Kimya Endüstrisi Kurumu). Le programme Altay, qui s’est vu attribué un contrat initial de 500 millions de dollars pour le développement et la réalisation de quatre prototypes, prévoit la livraison à l’armée turque d’un premier lot de 250 chars lourds à partir de 2016. Les besoins exprimés portent sur un millier d’engins, destinés à remplacer, à terme, les quelques 2 300 chars M-48 et M-60 actuellement en service. En parallèle, Ankara maintiendra en service un millier de chars allemands Leopard modernisés (package Next Generation de Aselsan) et M-60T (package « Sabra » de Israel Military Industries).
En ce qui concerne les véhicules de combat d’infanteries chenillés, la Türk Kara Kuvvetleri a déjà mis en service un engin blindé réalisé par FNSS, joint venture créée en 1988 entre NUROL Holding et BAE Systems pour le développement d’une nouvelle famille de véhicules blindés : l’ACV-300. Fabriqué pour l’armée turque à partir de 1992 en plusieurs versions (transport/tourelle de 25 mm/ missile antichar TOW), le blindés a déjà été vendu à l’export (250 à la Malaise et 136 aux Emirats Arabes Unis).
Les véhicules légers
Même ambitions en ce qui concerne le parc blindé léger à roues. Là aussi, l’industrie nationale (Otokar et FNSS) a développé divers programmes. Le Pars de FNSS, un blindé 6×6 ou 8×8, dont un millier d’exemplaires en été commandés par la Türk Kara Kuvvetleri, ainsi que 50 en version amphibie par le corps d’infanterie de marine rattachée à la Türk Deniz Kuvvetleri. Même agressivité sur le marché export, grâce à des prix très contenus : 257 engins ont été commandés par la Malaisie dans le cadre d’un contrat évalué à 559 millions de dollars, avec la participation de Thales (relire l’article de FOB sur ce sujet ici)
Quant aux blindés légers 4×4 (classe 8-10 tonnes), les militaires turcs ont exprimé un besoin pour 2700 nouveaux véhicules tactiques blindés. Le grand gagnant est le Kobra d’Otokar, dérivé du “Humvee” américain (avec pourtant de faux airs de VBL !), et a été commandé à plus de 1 200 exemplaires (les premières livraison sont intervenues en 1997). Autre véhicule commandé : l’Akrep (scorpion), un tout-terrain protégé, dérivé du Land Rover Defender 110, réalisé sous licence par Otokar (plus de 10 000 exemplaires produits et largement exportés), dont une version reconnaissance dédiés aux opérations spéciales, appelée Engerek (vipère), commandées à plus de 500 exemplaires.
Un MRAP turc
En 2009, suite au retour sur expérience du théâtre afghan et afin de disposer de véhicules capables de faire face aux menaces de type asymétrique, les Türk Kara Kuvvetleri ont commandé 468 véhicules 4×4 MRAP (résistant aux mines) Kirpi (hérisson), produits depuis 2010 par BMC de Izmir, avec l’assistance de l’industriel israélien Hatehof. Ces engins sont destinés pour l’essentiel à remplacer les BTR-60/80 russes, achetés dans les années 90, ainsi que les Dragoon, dérivés des Cadillac Cage Commando V-150. Récemment, les militaires turques ont exprimé également un besoin pour 336 véhicules NBC. Pour ce contrat, deux véhicules « made in » Turquie sont en lice: le 6×6 Edjer (dragon) de Nurol Makina, dont 26 exemplaires en version transport de troupe ont déjà été vendus à la Géorgie en 2007, et le 6×6 ARMA d’Otokar, qui existe également en version 8×8.
Artillerie et missiles
En ce qui concerne l’artillerie, l’armé turque a déjà renouvelé une grande partie de son parc automoteurs avec la mise en service de 248 obusiers de 155/52 mm K-9 Firtina (tempête) d’origine sud-coréenne, commandés en 2001 dans le cadre d’un contrat de 1,2 milliards de dollars et livrés entre 2004 et 2011. Ces automoteurs d’artillerie ont été utilisés au Kurdistan contre le PKK ainsi qu’en représailles contre la Syrie suite à des tirs contre le territoire turc en octobre 2012. Pour ce qui est des pièces tractées et des lance-roquettes, les Türk Kara Kuvvetleri continuent leur programme de mise en service d’obusiers de 155/52 mm Panter de production nationale et de la version locale fabriquée sous licence du lance-roquettes multiples WS-1 chinois de 302 mm. Le programme national Toros (taureau) pour l’introduction d’un nouveau système lance-roquettes de 230 et 260 mm semble, en revanche, rencontrer quelques problèmes.
Côté missile, l’armée turque souhaitait remplacer ses systèmes antichars (TOW, MILAN, Cobra, Hellfire, etc.). Ici, la modernisation a fait largement appel à l’achat sur étagère, à savoir l’Eryx de MBDA avec un nouveau contrat pour 632 lanceurs signé en 2012, ou bien avec les russes comme le Kornet E (commande pour 80 postes de tir et 800 missiles livrés en 2009-2010). Peut-être afin de laisser le temps à l’industrie nationale de faire son chemin, car l’industrie turque poursuit plusieurs programmes de développement pour le compte de l’armée turque, comme Roketsan avec son système antichar de 160 mm UMTAS/OMTAS. Rappelons que le missilier et munitionnaire national Roketsan a développé également une roquette de 70 mm à guidage laser Cirit (javelot) utilisée, notamment, par l’hélicoptère de combat AT-129.
Photos: Le char Altay/ le PARS / Le Kobra (Crédits: Droits réservés)