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La France fait le pari des véhicules militaires autonomes

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Definvest, le fond d’investissement du ministère des Armées, vient de signer sa première opération en entrant au capital du français Kalray spécialisé dans les processeurs dédiés aux systèmes autonomes. Entre prise en main de l’innovation de rupture que sont les véhicules terrestres autonomes (avec équipage, drones, robots) et investissement dans les entreprises stratégiques françaises, cette belle opération du Minarm est synonyme d’un nouveau rôle à jouer pour la direction générale de l’Armement (DGA) dans la préparation des forces à la « guerre du future ».
 

Le "robot" terrestre de Safran, Erider (Crédits : Marc Scudeletti / Safran)

Le « robot » terrestre de Safran, eRider (Crédits : Marc Scudeletti / Safran)


 
Selon un communiqué officiel publié par la délégation à l’information et à la communication de la Défense (DICoD) ce 2 mai 2018, Alliance Ventures, le fonds de capital-risque de l’Alliance Renault-NissanMitsubishi, et Definvest, le fonds géré par Bpifrance pour le compte du Ministère des Armées (lancé en novembre dernier il bénéficie de 50 M €), entrent au capital de l’industriel français Kalray, « pionnier des processeurs dédiés aux nouveaux systèmes intelligents ». Sur une opération s’élevant à un total de 10 M€, Definvest aurait souscrit pour 2 M€ tandis qu’Alliance Ventures souscrirait pour 4 M€.
 
Si l’on en croit les informations données par les communicants de Kalray, le coeur de métier de la PME sont les processeurs dits « intelligents » qui « permettent d’analyser à la volée et de manière intelligente des flux très importants d’informations, de réagir et de prendre des décisions en temps réel. » et dont le déploiement commercial du processeur existant (Bostan, qui équipe le concept-car de véhicule autonome construit par Renault) et le développement de la nouvelle génération (Coolidge), seront accélérés grâce aux fonds levés. Ces processeurs forment une technologie d’avenir qui a toutes ses chances pour satisfaire les besoins des militaires pour la « guerre du future ». Ces petits composants, qui sont donc très stratégiques pour la France, font de Karlay un des rares leaders dans le domaine des datacenters et des voitures autonomes. Ce sont ces dernières qui nous intéresseront ici.
 

En effet, si dans le domaine de la défense, ces processeurs d’avenir sont avant tout applicables aux systèmes aériens, du simple aéronef au drone, voire au missile, cet investissement du Ministère des Armées laisse à penser qu’il pourrait tout autant permettre d’accélérer le développement de véhicules autonomes – ou drones terrestres – pour l’Armée de terre. Cet investissement intervient en fait trois mois après le contrat passé entre Safran Electronics & Defense et la DGA pour le développement de prototypes de « robots » terrestres, le groupe Safran étant d’ailleurs un actionnaire de Kalray puisque l’industriel français a participé à la première tranche de la levée de fonds en juin 2017 via sa filiale d’investissement Safran Corporate Ventures (elle s’élevait à 13,6 M€ sur un total de 23,6 M€ et faisait intervenir de multiples investisseurs, principalement étrangers). Nous pouvons également noter que le ministère des Armées a choisi une photographie du drone terrestre eRider – dévoilé par Safran Electronics & Defense lors de l’édition 2016 d’Eurosatory – pour illustrer son communiqué publié sur son site officiel ce 2 mai. Pour appuyer notre hypothèse, il suffit de lire la légende rédigée par la DICoD pour cette illustration : « Les composants développés par Kalray ont, entre autres, des applications potentielles dans le domaine des véhicules autonomes. Un projet de véhicule autonome militaire, le eRider de Safran est actuellement testé dans le cadre de l’étude de robotique terrestre FURIOUS pilotée par la Direction générale de l’armement. » D’après Safran, le eRider, qui peut être piloté et utilisable à distance (tel un robot « en autonomie partielle ou totale ») dispose de technologies « lui permettant de comprendre son environnement et de s’y mouvoir efficacement et en toute sécurité. » et peut dès lors servir d’éclaireur efficace, voire de « base avancée ».

 

Le développement de véhicules terrestres « autonomes », qu’il soit basé sur le principe des véhicules Tesla d’Elon Musk (avec ou sans équipage), sur la technologie robotique terrestre (un véhicule totalement autonome) ou sur celle des drones (donc pilotés à distance) est l’une des priorités de plusieurs armées de premier rang, tant il permettrait dans un premier temps de sauver des vies. N’en déplaise aux passionnés de science-fiction militaire, ces véhicules n’ont pas pour vocation première à détruire l’ennemi, et ne sont pas voués à laisser leurs pilotes sur le siège passager; si la première phase de leur développement aboutit, ce sera pour faire fondamentalement progresser la sécurité des hommes et des femmes de l’Armée de terre en réduisant leur exposition.

 

À ce sujet, la littérature (ouverte) française n’est pas très abondante, mais les récentes discussions outre-Atlantique nous permettent de comprendre les retombées positives du déploiement de véhicules autonomes en opération, puisque la DARPA y investit depuis maintenant quatorze-ans. Selon Michael Griffin, sous-secrétaire américain à la Défense pour la recherche et l’ingénierie, 52% des victimes dans les zones de combat peuvent être attribuées au personnel militaire livrant de la nourriture, du carburant et d’autres moyens logistiques. « Si cela peut être fait par un véhicule automatisé sans pilote avec un algorithme de conduite AI relativement simple où je n’ai pas à me soucier des piétons et des panneaux de signalisation et tout cela, pourquoi ne le ferais-je pas? » (…) cela pourrait réduire considérablement les blessures et les décès » ajoute-t-il. Réduire le nombre de pilotes, les aider en ajoutant des fonctions d’avertissement et d’assistance, devrait logiquement contribuer à réduire les pertes.

 

Seulement, les Américains gardent les pieds sur terre, la pleine autonomie n’est pas encore une réalité. L’US Army travaille alors par exemple sur une solution astucieuse : un système de type leader-suiveur. Le système leader-suiveur implique que deux militaires manoeuvrent un véhicule en tête, puis jusqu’à sept autres véhicules sans conducteur suivent le véhicule de tête grâce à un système autonome. Dans le cadre d’engagement de véhicules de combat, les systèmes autonomes intelligents – en se déplaçant seuls, en identifiant les menaces, et les réponses possibles – permettront aux membres d’équipage de se concentrer sur leur réponse au feu ennemi et de fait, accroitre leurs chances de survie. Depuis 2016, les alliés américains multiplient les tests et les exercices, si bien que pour Griffin ils auront « des véhicules autonomes sur les théâtres avant même » qu’ils en aient « dans les rues« .

 
Processeur MPPA® (Massively Parallel Processor Array) développé par Kalray (crédits : Kalray)

Processeur MPPA® (Massively Parallel Processor Array) développé par Kalray (crédits : Kalray)


 

En France, on en reste au stade embryonnaire mais le Minarm semble avoir pris les choses en main. D’après Michel Cabirol (La Tribune), « Dans l’entourage de la ministre des Armées, on confirme que Kalray a aujourd’hui un temps d’avance sur les technologies américaines et chinoises, notamment dans la miniaturisation des processeurs et la vitesse de calcul combinées à l’intelligence artificielle. » Il est vrai que Kalray est soutenue depuis 2010 par la DGA et pour renforcer le soutien au développement de cette entreprise stratégique, il a été décidé que le fonds Definvest entrerait à son capital signant ainsi sa première opération.

 

Cette décision doit être comprise dans un cadre plus large qui est celui d’une surveillance et d’un soutien des PME stratégiques, Definvest devant répondre aux préoccupations selon lesquelles les investisseurs étrangers pourraient acheter des participations et transmettre un savoir-faire sensible à l’étranger (par exemple Kalray réalise aujourd’hui 80 % de sa R&D avec des partenaires étrangers). En novembre 2016, Anne Bauer écrivait dans Les Echos que le délégué général de l’armement de l’époque, Laurent Collet-Billon, « secoué par le rachat par des groupes étrangers de quelques PME spécialisées dans des composants sophistiqués et d’usage dual (civil et militaire) » avait « plaidé avec vigueur » pour la création d’un fonds d’investissement tourné vers l’innovation de défense. « Selon lui, jamais les entreprises chinoises ou américaines n’ont autant prospecté auprès des PME françaises de la défense. Alors qu’il faut plusieurs décennies pour acquérir certains savoir-faire, Laurent Collet-Billon estime que les systèmes d’autorisation d’Etat pour contrôler les achats d’entreprises sensibles ne suffisent plus » : « Si demain la France doit acheter ses composants à Taïwan, la souveraineté de notre défense risque d’en prendre un coup » avait alors mis en garde la DGA.

 
Le soutien aux PME et start-up capables de produire des innovations de rupture est également au centre de la politique défendue par la ministre des Armées, Florence Parly qui, en plus de Definvest, a annoncé la création d’un « Defense Lab » qui « deviendra un des poumons de l’innovation dans le ministère ». La Loi de programmation militaire 2019-2025 que Parly a dévoilée cette année et qui organise l’avenir des forces et leur préparation aux menaces, pointe les besoins en matière d’innovation dans la robotique terrestre : « l’autonomisation des systèmes constitue un axe important de modernisation et d’innovation des capacités (…) les robots du domaine terrestre intégrés aux systèmes d’information et de communication infovalorisés du programme SCORPION apporteront des concepts entièrement nouveaux fondés sur la collaboration entre des plateformes et des systèmes de drones. » Si la France rate le coche des nouvelles technologies « des ruptures de charge dans les bureaux d’étude d’importance stratégique entraineraient des pertes de compétences irréversibles et auraient des répercussions durables. »
 

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