Derrière le projet Vulcain et la non moins médiatique robotique Scorpion, la robotisation de l’armée de Terre s’écrit aussi en coulisse grâce aux programmes FURIOUS et MUST de la DGA. Deux axes d’effort très amonts présentés le mois dernier au Forum Innovation Défense.
Peu mis en avant, tant FURIOUS que MUST sont pourtant des programmes précurseurs en matière de robotique aéroterrestre. Le premier, un projet de technologies de défense (PTD) confié en 2018 à Safran Electronics & Defense, fera gagner en maturité des technologies susceptibles d’améliorer les interactions hommes/machines.
FURIOUS n’a pas pour but de livrer des solutions matures, mais plutôt de développer des capacités autonomes de navigation tout en alimentant les réflexions et en défrichant les doctrines d’emploi. « Aujourd’hui, les robots ou les drones sont manœuvrés par l’humain. C’est une tâche qui requiert un soldat par robot ». L’ensemble vise à « faire en sorte réduire la lourdeur des tâches que le combattant doit réaliser pour manœuvrer son robot », souligne l’ingénieur en chef de l’armement (ICA) Gaël, directeur des PTD pour le domaine terrestre au sein de la DGA.
Notamment entouré des PME Effidence et Kompai, Safran a fourni trois démonstrateurs de différentes classes, capables de réaliser différentes missions et testés dans plusieurs environnements. Deux d’entre eux sont des petits robots chenillés, le plus grand étant conçu pour franchir des escaliers et ouvrir des portes. Le troisième, basé sur le véhicule eRider développé en collaboration avec Valeo et PSA, est un modèle lourd de classe 1 tonne. Sa capacité d’emport de 500 kg permet de multiplier les scénarios d’emploi, du transport logistique aux évacuations sanitaires.
Tous sont porteurs d’une boule optronique pour répondre aux rôles primaires de recueil du renseignement et de levée de doute. D’autres applications sont envisagées, telle que la possibilité de déployer un écran de fumigène en avant du soldat. Voire, l’emport de systèmes d’arme. « Au travers de Vulcain, nous envisageons aujourd’hui un panel de possibilités qui pourront aller jusqu’à de la robotique de combat sous la maîtrise de l’homme ».
FURIOUS débouchera sur plusieurs expérimentations avec les forces au cours du premier semestre 2022. Celles-ci s’inscrivent dans la lignée d’essais précurseurs menés au sein de la DGA ou dans les locaux de Safran. Elles prendront cette fois place dans les camps d’entraînement de l’armée de Terre « pour que les briques qu’ils emportent correspondent concrètement à des missions opérationnels futurs ».
Loin d’être cloisonné, FURIOUS contribue à alimenter d’autres programmes, dont le pilier robotique de Scorpion et le projet Vulcain, lancé en juin dernier. « FURIOUS a Scorpion pour cible. Il était trop tôt pour intégrer les fonctionnalités sur le premier incrément robotique. Une fois celles-ci validées par les expérimentations, nous pourrons décider de les inclure dans de futurs incréments qui seront aussi alignés sur les objectifs du programme Vulcain sur le long terme », explique l’ICA Gaël.
En progressant, Vulcain doit aussi faire redescendre des besoins vers FURIOUS. Ce principe d’échanges « est inscrit mais il est encore un peu tôt, Vulcain devant prochainement dévoiler une feuille de route détaillée sur les futures capacités opérationnelles qui seront envisagées ».
Cette feuille de route viendra alimenter les planifications d’études et d’investissements dans d’autres briques de l’équipe FURIOUS. En fonction des capacités recherchées, ce PTD pourrait s’ouvrir à d’autres acteurs. « Aujourd’hui, il y a une offre industrielle qui commence à émerger. Nous verrons quelles actions mener en détails avec toutes ces cartes », relève l’ICA Gaël.
Si FURIOUS apportera de l’autonomie, la dynamique reste limitée à l’échelon du système unique. Lancé en 2017, le projet MUST vise cette fois à « améliorer l’autonomie dans la prise de décisions concertées de plateformes robotisées », indique l’ONERA, chargée de mener les études.
« Préfiguration d’une brique qui sera très certainement elle aussi intégrée dans Vulcain », MUST explore donc le principe de l’essaim intelligent. Un essaim réunissant plusieurs systèmes capables de se répartir la charge de mission et de s’adapter collectivement à l’évolution de l’environnement et à l’apparition d’éventuelles menaces.
« Nous ne souhaitons pas, de manière assez évidente, qu’il y ait un, voire deux téléopérateurs par machine. Il nous faut donc un algorithme capable de coordonner la manœuvre de jusqu’à plusieurs dizaines de systèmes autonomes déployés sur le terrain », précise l’ICA Gaël. Arrivé à maturité, MUST devrait avoir « un impact fort sur la réduction de l’exposition au risque dans les phases de renseignement et de surveillance avec un accroissement de la permanence et de la qualité des effets souhaités », estime l’ONERA.
L’apport de l’ONERA ? Des solutions de navigation et cartographie en flotte et de gestion décentralisée de mission s’appuyant sur le développement d’algorithmes d’intelligence artificielle et d’architectures de décision innovants.
L’idée n’est pas exempte de difficultés. L’une des principales relève du brouillage des communications et du GPS. Pareil écueil a déjà été constaté dans le monde civil, certains spectacles de drones réalisé en Chine ayant tourné à la catastrophe après qu’un dispositif de brouillage ait fait tombé les appareils sur le public. Le travail de MUST implique dès lors aussi des réflexions sur la nécessaire capacité de résilience.
L’enjeu sera de trouver la parade « face à un adversaire qui va se donner tous les moyens pour m’empêcher de progresser ». Jusqu’à éliminer des engins, imposant à l’essaim de de déterminer « comment se réarticuler très rapidement pour continuer la mission ». Et si les pertes sont trop élevées, il s’agira de faire remonter une alerte informant le ou les opérateurs de l’impossibilité de poursuivre la mission.
Pratiquement arrivé à terme, MUST est dès l’origine conduit en coopération avec l’équivalent singapourien de l’ONERA, DSO National Laboratories (Defence Science Organization).
La DSO a principalement fourni « le miroir du dispositif robots et drones que l’ONERA a mis en place pour ce projet ». L’objectif était de démontrer que l’interopérabilité est parfaitement réalisable avec des systèmes en provenance d’une organisation étrangère.
Ce partenariat devait normalement déboucher sur une démonstration majeure en binational sur le territoire français. Le Covid-19 en aura décidé autrement. Singapour a été l’un des premiers pays touchés, l’épidémie ayant entravé les voyages durant toute l’année 2020 et empêchant la tenue de cette « manœuvre complète ».
Faute d’arpenter le terrain de manœuvre, une démonstration dématérialisée a pu être jouée conjointement et en temps réel au cours du printemps 2021. Avant d’être clôturé, MUST a été l’objet d’une nouvelle expérimentation de deux jours menée dans la foulée du FID, dans un village de combat français.