Un nouveau chapitre s’ouvre pour la filiale belge du groupe Thales. Soutenu par l’Europe et la Belgique, le leader européen des roquettes de 70 mm muscle ses capacités de production pour répondre à une demande accrue, notamment pour sa nouvelle solution guidée.
« On part de loin », observe le CEO de Thales Belgium, Alain Quevrin, à l’issue de l’inauguration d’une ligne d’assemblage de kits de guidage sur le site de Herstal, en périphérie de Liège. Le creux du milieu des années 1990 est désormais bien loin. Alors réduites à une trentaine d’employés, les forces vives de l’ex-Forges de Zeebrugge ont depuis quadruplé, signe parmi d’autres d’une dynamique soutenue par un regain d’intérêt envers la roquette de 70 mm et par les succès initiaux d’une variante à guidage laser, la FZ275 LGR.
Voilà deux ans que Thales planche sur la hausse des capacités de ses deux établissements liégeois. Quelque 20 M€ ont été investis sur fonds propres pour répondre à un double objectif. D’un côté, passer de 30 000 à 60 000 roquettes non guidées produites par an. De l’autre, quintupler la production de FZ275 LGR courant 2025 pour passer de 1000 à 5000 unités par an. Cette augmentation des cadences, c’est tout l’enjeu de l’atelier inauguré ce lundi en présence d’une délégation ministérielle et d’industriels du secteur.
Entamés en novembre 2023, les travaux d’adaptation débouchent six mois plus tard sur une ligne d’assemblage qui, tout en faisant la part belle à l’automatisation, continue de mobiliser des savoirs et savoir-faire parfois transmis de génération en génération. Les robots permettent d’accélérer certaines opérations, mais la main humaine reste en effet nécessaire dans un domaine qui, pour l’oeil extérieur, s’apparenterait à de l’horlogerie.
« Nous avons été soutenu, et pas simplement avec des mots », souligne Alain Quevrin. Cette nouvelle ligne, c’est aussi l’un des premiers résultats tangibles de la lettre d’intention signée fin 2023 avec le ministère de la Défense belge. « Celle-ci porte précisément sur les systèmes de roquettes de 70 mm. Elle a pour but de faciliter la coopération dans le cadre de la recherche et du développement de ces systèmes et de leur intégration sur les capacités de la Défense », a rappelé la ministre de la Défense Ludivine Dedonder.
Et l’appui n’est pas que fédéral. Si la Région wallonne est intervenue dans le développement de la FZ275 LGR, l’Europe contribue significativement à l’effort en cours. Mi-mars, le projet Guépard soumis par Thales Belgium a été retenu pour un financement accordé par la Commission européenne dans le cadre du programme « Act in Support of Ammunition Production » (ASAP). Ce coup de pouce de 9,6 M€ viendra soutenir la montée en cadence de la production.
Le projet comporte encore quelques défis. Décrocher des contrats, bien sûr, mais également renforcer les équipes. Entre 40 et 60 recrutements supplémentaires sont prévus pour accompagner la hausse des cadences. Un challenge dans un bassin d’emploi concurrentiel, en particulier pour les profils d’ingénieurs. Reste par ailleurs la question de la capacité de la sous-traitance à suivre le rythme, plusieurs éléments critiques de la roquette guidée relevant de partenaires belges comme Advionics et Lambda-X. Crise sanitaire et regain de la notion de souveraineté obligent, Thales a néanmoins intégré de longue date la nécessité d’un accompagnement accru de sa chaîne de valeur, assure le groupe.
Toutes références confondues, le site sera à terme capable de produire une roquette toutes les 15 minutes, observe Hervé Dammann, directeur général adjoint de l’activité systèmes terrestres et aériens de Thales. « Lorsque, dans certaines discussions, nous parlons de la nécessité de rentrer en ‘économie de guerre’, ceci est un bon témoignage de ce que nous sommes capables de réaliser ensemble », relève-t-il.
Ces efforts ne sont évidemment pas dus au hasard. Cette ligne, c’est « une réalisation concrète qui fait écho aux besoins de la Défense mais aussi à une demande internationale grandissante au regard d’une situation sécuritaire globale préoccupante », déclare la ministre de la Défense belge, Ludivine Dedonder. Un ressenti partagé par Thales. « Nous avons constaté une demande croissante pour des roquettes de 70 mm, sachant que cette roquette est au format OTAN et que nous sommes les seuls à la produire sur le continent européen », indique Hervé Dammann.
Thales Belgium est confiant : « il y a énormément de demande sur la roquette guidée », constate son patron. Lancé en 2015 avec de premiers tirs réalisés en Allemagne, le programme répondait alors à une clientèle désireuse d’éviter les dommages collatéraux en gagnant en précision. Engagée dans un contexte opérationnel dominé par la gestion de crises, l’idée reste plus que jamais d’actualité dans un environnement sécuritaire désormais dominé par le combat de haute intensité.
Plusieurs pays l’ont déjà adoptée, l’Allemagne et l’Espagne en tête pour armer leurs hélicoptères d’attaque Tigre. Elle répond également à un besoin exprimé par la Défense belge pour l’armement des 15 hélicoptères H145M acquis mi-juin auprès d’Airbus Helicopters, un appareil sur lequel la FZ275 LGR est qualifiée. Derrière, la roquette guidée est l’un des matériels que la Belgique a inclu et devrait continuer d’inclure dans les trains d’aides successifs adoptés au profit des forces armées ukrainiennes.
Alternative « low cost » aux missiles, cette roquette de 12 kg offre une portée de 7 à 11 km suivant le porteur. Lancée à 2000 km/h, elle atteint une cible en une vingtaine de secondes avec une précision métrique. Une performance assurée par son laser semi-actif et son Canard Actuation System, quatre ailettes directionnelles déployées en vol et permettant à la roquette de manoeuvrer. Guidée par un désignateur externe, elle intègre également des capacités de verrouillage avant et après le tir, la première étant permise grâce au lanceur multiple digital FZ606.
La FZ275 LGR embarque une tête militaire FZ277 hautement explosive et pré-fragmentée contenant 1 kg d’explosif de composition B. De quoi percer 6 mm d’acier et neutraliser un véhicule léger, une cible molle, des systèmes d’artillerie ou de défense sol-air, des radars ou encore de petits navires. Demain, cette roquette pourra emporter une nouvelle charge creuse capable de percer de 15 à 20 cm de blindage. Actuellement en développement, cette solution sera commercialisée à compter de 2026.
« Ces roquettes sont particulièrement résistantes au brouillage », rappelle Hervé Dammann en écho à la remontée en puissance de la guerre électronique. Côté guidage, pas question pour l’instant de basculer vers un GPS onéreux et justement sensible au brouillage. D’autres techniques sont cependant envisagées, dont l’imagerie, mais avec un horizon plus lointain. « Le marché aujourd’hui ne le demande pas », relève Alain Quevrin, pour qui il s’agit néanmoins d’anticiper pour rester en pointe.
Le besoin s’accroît, les applications se diversifient. « Tout naturellement, le domaine d’emploi de cette roquette guidée relève des plateformes aériennes », rappelle un spécialiste de Thales. Longtemps cantonné aux avions et aux hélicoptères, l’usage s’élargit progressivement à d’autres plateformes et domaines d’emploi. Dans le secteur terrestre tout d’abord, avec des intégrations réussies sur des véhicules tactiques légers au profit de l’Ukraine, sur un robot Mission Master de Rheinmetall Canada, sur une tourelle Cockerill 3000 de John Cockerill ou encore sur un tourelleau téléopéré DeFNder de FN Herstal.
Thales explore à présent la voie plus complexe mais prometteuse des drones. En témoignent plusieurs projets présentés cette semaine à Herstal. Deux d’entre eux relèvent d’un partenariat avec l’entreprise grecque Spirit Aeronautical Systems (SAS). Ce sont des intégrations sur le drone SARISA SRS-1A, avec de premiers tirs réalisés l’an dernier en Grèce et d’autres attendus pour fin 2024, et sur la munition téléopérée Aihmi AHM-1X. Deux autres reposent sur le drone VTOL S-300 de l’autrichien Schiebel et sur le système MALE sud-africain Milkor 380. Un cinquième, plus récent, passera par la conception d’un drone doté d’une autonomie de 200 km en collaboration avec une entreprise brugeoise. Et « nous commençons aussi à parler du domaine naval », une perspective en lien avec le récent rapprochement avec l’espagnol Escribano Mechanical & Engineering.
Qu’il s’agisse du renforcement des moyens industriels ou de l’extension de la gamme et des applications, tout cela « n’est encore qu’une étape », laisse présager Alain Quevrin. « Nous avons des idées d’extension de ce site, que ce soit à travers l’acquisition de bâtiments ou de terrains proches », annonce-t-il. Un avant-goût de ce qui pourrait être l’une des prochaines cibles de Thales Belgium : celle, si les contrats suivent, des 10 000 roquettes guidées assemblées chaque année.