Le groupe franco-allemand KNDS va renforcer son empreinte en Belgique. Des obus de 155 mm au partenariat stratégique CaMo en passant par la robotique, aucune piste n’est exclue pour développer les activités de sa filiale locale, l’ex-MECAR devenu KNDS Belgium.
Près de dix ans après son rachat par Nexter (devenu KNDS France), l’heure est venue pour le site wallon de Petit-Roeulx-les-Nivelle d’évoluer à nouveau pour « produire plus et plus vite ». « Nous avons un plan d’investissement extrêmement ambitieux dans le cadre de l’économie de guerre pour développer les activités en Belgique », annonce Christophe Monnier en écho au plan engagé l’an dernier par le gouvernement français. À la tête de KNDS Belgium depuis 2019, ce dernier est depuis juillet dernier le délégué général de KNDS pour la Belgique, le premier poste du genre en Europe et une manière de « démontrer l’importance que le groupe accorde au partenaire belge ».
Ce plan, ce sont 15 M€ investis sur deux ans pour progresser dans la modernisation de l’outil industriel et étendre le spectre d’activités en priorisant un produit précis. Non pas un 30 mm pour lequel l’intérêt se maintient, ni un 105 mm notamment donné à l’Ukraine par la Défense belge pour armer ses chars Leopard 1. Non, l’effort portera en priorité sur le 155 mm d’artillerie. Celui dont l’Ukraine a tant besoin pour maintenir sa souveraineté, celui que la Belgique redécouvrira en 2027 avec l’arrivée de ses premiers canons automoteurs CAESAR Mk II et que de nombreuses armées de l’OTAN cherchent à acquérir.
Entre les dons à l’Ukraine et le recomplètement des stocks nationaux, « la demande européenne est croissante », souligne Christophe Monnier. Pour y répondre, KNDS envisage d’installer une nouvelle ligne de production de 155 mm sur le sol belge. La première étape, concrétisée dans les deux ans, consistera à installer une unité de ceinturage de gros calibre (UCGC) pour usiner les corps d’obus. Dans un second temps, cette ligne sera complétée par de nouvelles capacités en matière de chargement d’obus.
Ce 155 mm, quelques-uns des 290 salariés de KNDS Belgium le côtoient depuis un moment. Ses équipes sont ainsi les seules qualifiées pour réaliser le chargement de pots éclairants « et il nous est arrivé également de faire du chargement de phosphore pour certaines demandes de munitions fumigènes », pointe le délégué général pour la Belgique. Demain, ce savoir-faire s’étendra à la production d’une munition complète.
Cette future ligne représentera à terme un tiers de la capacité totale de KNDS, soit jusqu’à plus de 30 000 obus par an. De 60 000 au début de la guerre en Ukraine, la capacité de production de KNDS aura en effet augmenté de 50% courant 2024 et atteindra les 100 000 obus produits par an à l’horizon 2025.
Pour KNDS, cette nouvelle ambition renforce une stratégie engagée de longue date. Quelque 8 M€ ont déjà été investis en Belgique sur les trois dernières années. De quoi acquérir des robots et soutenir, entre autres, l’installation d’une nouvelle ligne semi-automatisée pour les munitions de moyen calibre. « La première tranche a été réalisée il y a un an. Nous sommes en train de finaliser la deuxième tranche, qui sera opérationnelle en 2024 ».
« Il y a d’autres sujets munitionnaires auxquels nous sommes en train de réfléchir », annonce le patron de KNDS Belgium. Derrière le 155 mm, le sursaut à venir permettra de rénover la ligne de traitement de surface et d’installer de nouvelles unités d’usinage robotisé d’obus de mortier de 120 mm. Dans un domaine concurrentiel où les profils recherchés sont aussi qualifiés que rares, l’entreprise privilégie avant tout la montée en compétences du personnel et l’automatisation des processus. À terme, l’enjeu sera d’optimiser davantage en rapprochant les machines au sein d’îlots manoeuvrés par un robot.
L’annonce intervient sur fond de tension subsistante parmi la chaîne d’approvisionnement. Aux derniers soubresauts de la crise sanitaire vient s’ajouter l’explosion de la demande pour certaines matières. Il faut aujourd’hui 24 mois pour être livré dans certaines références de poudres, relève l’industriel. Des pénuries qui expliquent en partie les 300 M€ investis sur fonds propres par la moitié française de KNDS pour anticiper des commandes, négocier les meilleurs créneaux de livraison et valider de nouveaux fournisseurs, notamment dans les poudres et explosifs.
L’effort global consenti en interne n’est pas mince et, à l’instar d’autres acteurs, KNDS entend bien l’appuyer en misant sur le mécanisme « Act in Support of Ammunition Production » (ASAP) instauré par la Commission européenne pour augmenter les capacités de production de la filière munitionnaire et se débarrasser des goulets d’étranglement détectés. Lancés le 18 octobre, ses appels à projets seront financés à hauteur de 500 M€ pour la période 2023-2025, dont 90 M€ pour muscler la production d’obus.
« Le plan ASAP est absolument indispensable », estime Christophe Monnier. La filiale belge de KNDS y concourra au travers d’un consortium éclectique et multinational, panachage de centres de recherche, grandes entreprises et PME de France, des Pays-Bas ou encore de Belgique.
« L’activité sera forte en 2024 et le chiffre d’affaires restera stable à environ 100 M€, voire en légère hausse », anticipe Christophe Monnier. Un palier en prélude à une croissance supérieure à 10% à compter de 2025-2026. Bien qu’historique, le secteur munitionnaire n’est pourtant pas le seul envisagé par KNDS pour sa filiale belge. Pour le groupe, l’objectif est bien d’élargir le périmètre à d’autres sujets en cours ou à venir, à commencer par le projet CaMo.
Maître d’oeuvre industriel de ce partenariat binational, KNDS France commencera à livrer les 382 Griffon et 60 Jaguar commandés par la Belgique à compter de 2025 et 2027. La question de leur maintenance n’est pas encore tranchée par les autorités, mais « nous sommes tout à fait prêts, cela fait partie des sujets que l’on étudie, à intégrer des activités de soutien aux véhicules à partir de Petit-Roeulx », assure Christophe Monnier.
« L’ambition est de jouer un rôle en développant des activités de soutien et de logistique ». Le groupe pourra s’appuyer sur un maillage de partenaires locaux. MOL, bien sûr, mais aussi potentiellement Jonckheere, à l’origine de tous les faux châssis des canons automoteurs CAESAR, et KAB Seating, qui fournit des sièges pour certains véhicules. Véritable point d’entrée, KNDS Belgium pourrait ainsi stocker des pièces de première monte avant de les livrer chez MOL, entreprise flamande responsable de l’assemblage final des Griffon belges, ou des rechanges pour accélérer le soutien des véhicules en service.
« Nexter remplit ses engagements en matière de retour sociétal mais si il y a moyen de faire plus, nous le ferons », promet son délégué général en Belgique. Faire plus, en installant par exemple un centre de maintenance robotique de premier niveau pour les robots éventuellement acquis par la Défense belge. Si l’entreprise se focalisera dans un premier temps sur les projets liés à la logistique et au soutien, « nous essayons de balayer assez large ». Elle n’exclut pas, si le contexte le permet, d’aller jusqu’à fabriquer des sous-ensembles sur le sol belge. Qu’importent les options retenues, « il s’agit d’y aller progressivement, tout cela relevant de métiers nouveaux pour MECAR », conclut Christophe Monnier.