Entre un rapprochement avec la Défense belge, le développement de l’activité et de nouvelles applications, l’horizon est dégagé pour l’unique producteur de roquettes de 70 mm en Europe, la filiale belge de Thales.
À lieu exceptionnel, événement exceptionnel. Pour la première fois, Thales ouvrait les portes du fort d’Évegnée. Un ouvrage achevé en 1892 pour protéger la ville de Liège et devenu, il y a plus d’un demi-siècle, l’unique lieu d’assemblage et de test de la gamme de roquettes de 70 mm du groupe français. Un cadre idéal pour accueillir la signature d’une lettre d’intention (LoI) avec le ministère de la Défense belge.
Actée ce mercredi, cette LoI englobe « la fabrication, le stockage et la fourniture de munitions, la mise à disposition de véhicules pour procéder à des essais de prototypage et le soutien technique pour l’intégration des systèmes d’armes sur des véhicules », énumérait la ministre de la Défense belge, Ludivine Dedonder. Parmi les facteurs qui ont retenu l’attention de ses équipes, non seulement des savoir-faire uniques, mais aussi la capacité offerte par Thales d’installer rapidement ses roquettes sur des plateformes que la Belgique pourrait fournir à l’Ukraine.
« Je suis à nouveau très fier de constater que nous avons chez nous des entreprises d’une telle qualité », déclarait Ludivine Dedonder avant de sceller ce nouveau partenariat. « Cette coopération illustre ma politique pour La Défense : soutien de l’industrie, moteur de notre économie, pour une Europe de défense toujours plus performante et intégrée. Cela permettra notamment de renforcer nos entreprises et la création de nombreux emplois dans le domaine », complétait celle qui continue d’arpenter les quatre coins du royaume pour rencontrer les acteurs de la filière nationale de défense et de sécurité.
« Évidemment, nous allons approfondir ce partenariat, y compris dans ce domaine. Vous savez que nous allons faire l’acquisition d’hélicoptères légers au profit de la Défense. Il y a là également une opportunité pour l’entreprise, de même que pour des véhicules terrestres. (…) Il y a, je pense, beaucoup de perpectives pour ce site pour l’avenir », estime la ministre, qui espère pouvoir concrétiser les grandes lignes de cette LoI en 2024.
Cette visite « a été une formidable opportunité d’aborder les axes de collaborations entre Thales en Belgique et le ministère de la Defense Belge. Je suis particulièrement reconnaissant et fier de l’intérêt continu porté par le ministère de la Défense sur nos activités et du support exprimé une fois de plus par Madame la Ministre », déclarait le PDG de Thales Belgium, Alain Quevrin.
Ce segment dans lequel Thales est seul leader en Europe, ce sont plus de huit millions de roquettes livrées en 50 années d’activité auprès de 55 pays et de 70 armées. Le tout exclusivement à l’export, du moins pour l’instant. Ce sont également 200 emplois mobilisés, dont 80 au sein de la chaîne de sous-traitance, et un outil industriel en pleine évolution.
Tant systémier que munitionnaire, Thales est lui aussi confronté à l’explosion de la demande générée par le contexte sécuritaire, et aux problématiques d’approvisionnement et de montée en cadence qu’elle induit. « Aujourd’hui, nous devons grandir et développer nos capacités de production et notre gamme de produits », soulignait Thomas Colinet, responsable de l’activité roquettes sur les deux sites belges.
Plus de 20 M€ sont investis par le groupe pour, progressivement, muscler la production et la R&D. Plusieurs milliers de roquettes sortent chaque année des lignes liégeoises. L’objectif sera, selon la référence, de doubler et jusqu’à quintupler ce volume. « Nous transformons en ce moment complètement l’activité du site de Herstal pour pouvoir intégrer de nouvelles lignes de production, notamment pour la production de munitions guidées en quantités plus importantes », ajoute le responsable. L’inauguration est attendue pour l’année prochaine. Le site d’Évegnée n’est pas en reste, l’adaptation progressive des anciennes logettes du fort en autant d’espaces de production et de stockage en témoigne.
Derrière l’effort consenti sur fonds propres, Thales mise à son tour sur le dispositif européen « Act in Support of Ammunition Production » (ASAP). Crédité de 500 M€, ASAP comprend un volet « roquettes et missiles » pour lequel le groupe soumettra bientôt sa candidature. « Nos applications autour des modules de guidage pour des tirs sol-sol sont un des objets de cet appel ASAP. Il faut que nous trouvions notre place à côté de ce volet prioritaire qu’est le 155 mm d’artillerie », relève Alain Quevrin.
Pour se démarquer, Thales insiste sur la complémentarité. Quand le calibre 155 mm apporte la force de frappe et la portée, la roquette guidée laser FZ275 amène l’agilité et la précision métrique à une distance de sept kilomètres et à une vitesse proche de Mach 2. Résultat : « vous améliorez significativement la précision de votre système, ce qui ouvre de nouvelles perpectives en termes d’applications », explique Thomas Colinet.
Cette roquette guidée laser, c’est l’atout sur lequel Thales mise pour étendre un périmètre jusqu’alors essentiellement limité aux hélicoptères et avions de combat. De nouvelles voies sont maintenant explorées dans les domaines porteurs de la lutte anti-drones et des frappes sol-sol de précision, que ce soit à partir de plateformes terrestres, aériennes et navales pilotées ou robotisées. Qu’importe le débouché, « il y a une vraie demande », indique Alain Quevrin.
Plusieurs projets et concepts d’intégration sont apparus dernièrement. Deux d’entre eux découlent de sollicitations au profit des forces armées ukrainiennes. Le rétrofit d’hélicoptères Mi-8 en service, premièrement, afin de remplacer l’armement de l’ère soviétique par des systèmes compatibles avec l’OTAN. Thales fournit les lanceurs, les munitions et le soutien et se charge d’intégrer le tout en Ukraine.
Et, deuxièmement, Thales a réalisé en moins de trois mois l’installation d’un lanceur sur un pick-up Toyota Land Cruiser. « Il s’agit surtout d’une sollicitation de leur part. (…) Nous nous sommes vite adaptés car cela peut changer les concepts d’utilisation », souligne Alain Quevrin. Un cas concret d’usage pour un appui « léger » mais précis et pour lequel les retours se sont avérés positifs.
Cet emport sur véhicule se complète d’un autre exemple à l’accent davantage « belge ». Présentée ce mercredi, l’idée associe un panier à roquettes orienté manuellement ou sur tourelleau téléopéré, un outil de détection de drones et une radio tactique embarquée. L’ensemble embarquait pour l’occasion sur un blindé léger Lynx de l’armée belge – un modèle fourni à l’Ukraine – et associé une équipe d’observateurs avancés équipés, au hasard, des dernières jumelles multifonctions Sophie Ultima pour détecter et pointer la cible avec un désignateur laser, fonction requise pour opérer la roquette guidée laser.
Pensé comme un système multimission, cet outil développé en un mois permet, de par le panachage de roquettes qu’il propose, de conduire autant des frappes sol-sol que de se doter d’un bouclier face à la menace grandissante que représentent les drones armés et munitions téléopérées (MTO). Il découle par ailleurs d’un travail d’équipe, Thales ayant mobilisé les entreprises belges Lambert pour le volet mécanique et Senhive pour la brique de détection.
Neuve, la fonctionnalité de lutte anti-drones requière de travailler sur une charge militaire spécifique. Cette munition reposant sur une technologie airburst, ce sera la future FZ123. « Ces développements, nous ne les poursuivons pas seuls. Nous travaillons notamment avec l’École royale militaire et nous sommes appuyés financièrement par la Région wallonne », indique Thomas Colinet.
Derrière, Thales progresse sur un segment davantage prospectif, celui des plateformes robotisées armées. Plusieurs projets sont en cours avec des partenaires européens. Avec l’allemand Rheinmetall, par exemple, qui démontrait en avril 2022 la pertinence d’une intégration de la roquette FZ275 sur son robot terrestre Mission Master SP. « Cela peut avoir du sens pour diminuer la facture humaine et éloigner le combattant de la menace », souligne Alain Quévrin. La feuille de route s’étend ensuite aux drones et MTO, autre domaine pour lequel les compétences des sites belges « ont de la valeur et peuvent être mises à profit pour développer d’autres types de munitions », estime Thomas Colinet. Une manière de rester à l’écoute du client et d’inscrire l’effort dans la durée pour s’assurer d’exploiter tout le potentiel d’une technologie qui fait la renommée de l’entreprise belge depuis des décennies.
Crédits image : Thales