Sur les rails, le Fonds innovation défense mise aussi sur l’investissement privé

Share

Exit Definnov, place au Fonds innovation défense (FID). L’acte de naissance de ce nouveau levier à l’innovation a été signé hier par la ministre des Armées, Florence Parly, et le directeur général de Bpifrance, Nicolas Dufourcq. Le ministère des Armées y consacrera 200 M€ sur six ans, enveloppe susceptible de doubler en y adossant des partenaires privés.

Combler certaines lacunes

« La création de ce fonds d’investissement marque une étape majeure dans notre politique de soutien à l’innovation », déclarait Florence Parly au terme d’une table ronde du Digital Forum Innovation Défense, organisé par l’Agence de l’innovation de défense (AID).

Complémentaire du fonds Definvest lancé en 2017, le FID sera un outil de financements à destination des PME, ETI et start-up innovantes en phase de croissance et développant des technologies duales. Porté par Bpifrance, le FID a pour vocation de réaliser des investissements en capital risque « late stage », c’est à dire auprès d’entreprises parvenues aux stades de financement série B à « growth ». Exceptionnellement, le FID s’autorisera à intervenir en phase d’amorçage pour des cas particuliers.

Ce dispositif, le ministère des Armées l’abondera à hauteur de 200 M€ grâce aux crédits d’études amont, en augmentation de 80 M€ en 2021 pour plafonner à 901 M€. Ces prises de participation se feront de manière minoritaire, avec un ticket d’entrée fixé à maximum 10 % de l’encours du fonds. Soit jusqu’à 20 M€ par ticket dans un premier temps, un apport qui pourrait potentiellement doubler si le FID poursuit la trajectoire espérée par le ministère des Armées.

(Crédits : ministère des Armées)

Le FID pourra par ailleurs co-investir avec d’autres fonds privés ou publics. Il agira ainsi en complément du fonds French Tech Souveraineté (150 M€) annoncé par le ministère de l’Économie et des Finances. « Nous nous sommes entendus pour mettre en place une co-gouvernance de ces deux fonds », annonce Florence Parly.

Ce nouveau fonds corrigera plusieurs imperfections subsistantes en matière de soutien à l’innovation. Malgré les succès engrangés avec Definvest, « il y a encore des lacunes résiduelles dans le financement de l’innovation de défense », constate l’ingénieur général de l’armement (IGA) Patrick Aufort, directeur adjoint de l’AID. Au moins trois raisons majeures justifient la volonté de compléter le dispositif.

La première, régulièrement épinglée par les groupements industriels et parlementaires, « c’est de combler une lacune d’investisseurs et de créer un effet d’entraînement », ajoute l’IGA Aufort. Le tout sans effrayer le secteur. C’est pourquoi, à l’instar de Definvest, le FID se veut être un fonds « patient » grâce à une stratégie d’investissement sur six ans et des prises de participation minoritaires.

La seconde raison repose sur le besoin de se doter d’« un outil supplémentaire pour structurer la BITD dans le domaine de ces technologies transverses, et la structurer de manière plus efficace qu’en multipliant des marchés où ces entreprises seraient sous-traitantes de maîtres d’œuvres dans différents secteurs ».

Et troisièmement, le FID doit compléter Definvest. Celui-ci a été créé pour soutenir les entreprises stratégiques déjà en place et connues des Armées. À l’inverse, le cœur de cible du FID comprendra des sociétés présentant « des applications parfois lointaines et dont le niveau de criticité est très difficile à appréhender à court terme », précise l’AID. Il fallait donc un moyen d’agir au profit de ces sociétés qui, à première vue, ne paraissent pas critiques pour la BITD française mais recèlent pourtant un réel potentiel pour des applications militaires. « Nous allons donc nous concentrer sur le secteur de la deeptech, avec des technologies comme l’intelligence artificielle, le quantique, l’énergie, les composants électroniques, la santé, l’humain », détaille l’IGA Aufort.

Signature de la lettre d’intention de lancement du FID par la ministre des Armées Florence Parly et le directeur général de Bpifrance, Nicolas Duflourcq (Crédits : ministère des Armées)

Jusqu’à 400 M€ grâce à l’investissement privé

Le ministère des Armées espère porter l’enveloppe du FID à 400 M€ grâce à une contribution de Bpifrance et par la volonté affirmée d’y faire entrer des acteurs privés, notamment industriels. « Nous sommes en discussion avec plusieurs d’entre-eux pour abonder ce fonds au service de notre souveraineté future », indique Florence Parly.

Reste à compiler avec la frilosité des investisseurs pour la filière défense, un frein régulièrement pointé par les groupements industriels et parlementaires et exacerbé par la crise économique. « Il y a une frilosité réelle qui n’est pas que de l’ordre de l’incompréhension. (…) Les freins à l’export, les demandes d’autorisation pour la libération du capital et sa transmission, toutes ces conditions sont assez complexes à mener et rafraîchisse un peu notre ardeur », témoigne Xavier Lazarus, directeur général du fonds d’investissement Elaia Partners. D’autant plus que certains investisseurs demandent explicitement d’exclure certains secteurs d’activité « et l’armement en est un », ajoute Lazarus.

Capter l’investissement privé exigera dès lors de poursuivre plusieurs axes d’effort. La France, tout d’abord, « a donné beaucoup de subventions qu’elle n’a acheté de produits » quand « les Américains ne subventionnent pas, ils achètent. Ils achètent peut-être à fonds perdus mais ils achètent », souligne Lazarus. Aux 110 Md€ injectés dans l’économie par les Armées entre 2019 et 2023, Florence Parly ajoute un second argument chiffré : « 1€ investi dans les industriels de défense c’est in fine, au bout de 10 ans, 2€ de croissance économique pour notre pays ».

Il y a ensuite un changement à opérer dans le rapport entre la start-up et le grand groupe. Au lieu de maintenir une relation client-fournisseur rigide, tous deux doivent privilégier l’établissement d’un partenariat dans lequel la réussite de la start-up et celle du grand groupe seront alignées. Le tout, au bénéfice de l’attractivité du secteur. « Si on a de belles perspectives de rendement à la sortie, parce qu’on a une activité d’acquisition ou d’introduction en bourse qui est convaincante, si le couple risque-rendement est attractif, l’argent privé va arriver très naturellement », fait valoir Lazarus.

Quant à un intérêt de la part d’investisseurs étrangers « agressifs », les Armées et Bpifrance répondront par la stricte application de la loi pour éviter, autant que possible, une multiplication des feuilletons « à la Photonis ». « Dès lors qu’il y a des actifs significatifs qui portent atteinte à la souveraineté, l’État peut exiger un certain nombre d’engagements de la part de l’investisseur, voire même de les refuser », rappelle David Lenoble, sous-directeur PME au sein de la DGA.