Le SMDR, nouvel atout de choc du 61e régiment d’artillerie

(Crédits : 61e RA)

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Lui aussi descendra l’avenue des Champs-Elysées pour la première fois ce matin. « Lui », c’est le nouveau système de mini-drones de renseignement (SMDR) de l’armée de Terre. Déployé depuis le début de l’année au Sahel, il sera présenté au public dans quelques heures par l’entremise du 61e régiment d’artillerie, unité référente « drones ».

Le SMDR, un « petit avion emmerdant » pour les terroristes

La fierté est palpable du côté des Diables noirs du 61e RA. Non seulement cette présence sur les Champs-Elysées est une juste reconnaissance pour ce régiment en auto-relève au Sahel, mais elle est aussi l’occasion choisie pour présenter le SMDR au grand public. Celui-ci vient tout juste d’achever un premier mandat de quatre mois au sein du Groupement de recherche multi-capteurs (GRM) de l’opération Barkhane. 

L’arrivée effective du drone est « une grande satisfaction au niveau opérationnel, avec un système qui, par ses capacités, est particulièrement adapté à la manœuvre des sous-groupements de recherche multi-capteurs [SGRM], outils de recherche et d’appui dédiés aux unités de manœuvre », explique le colonel Marc Bonnet, chef de corps du 61e RA. Expert du renseignement d’origine image (ROIM), celui-ci a déjà commandé un GRM de Barkhane en 2017-2018 et un SGRM lors de l’opération Sangaris en 2015 en République centrafricaine. 

« C’est un outil qui nous manquait. Entre les nano et micro-drones, qui étaient là depuis un petit moment, et le Reaper, il y a un chaînon manquant qu’il restait à compléter », souligne-t-il. Avec trois heures d’autonomie et une portée effective de 30 km, le SMDR vole deux fois plus longtemps et deux fois plus loin que son prédécesseur, le DRAC. Sa charge utile à voies optique et infrarouge offre une qualité d’image sans équivalent au 61e RA, à tel point que les groupes armés terroristes (GAT) l’ont surnommé « le petit avion emmerdant ».

(Crédits : 61e RA)

Hors de question de relâcher la pression exercée pour les équipes du 61e RA, régiment en auto-relève sur Barkhane. L’une d’entre elles aura ainsi effectué plus de 90 vols en quatre mois, dont une vingtaine de nuit et principalement lors de déclenchements sur alerte. Certains auront enchainé jusqu’à cinq vols de près d’environ trois heures en une seule journée pour accompagner un rythme opérationnel particulièrement dense. Une performance à la fois humaine et technique, facilitée par les sept batteries et la possibilité de les recharger directement dans le véhicule de transport.

Il en résulte un véritable enjeu en matière d’exploitation du matériel récolté. « Je crois que nous avons recueilli 250 heures d’images de renseignement sur ces quatre mois. Il faut imaginer derrière le défi qu’il y a à exploiter tout cela. On ne rechigne pas au travail car, derrière, il y a une belle complémentarité avec les autres capteurs ». 

Mettre en place une nouvelle capacité

Ce premier déploiement est le fruit d’un travail de l’ombre entamé dès l’automne 2020 et durant quatre mois sous la houlette du lieutenant Thomas, chef de section drones au Premier de la fourragère. « J’aurai eu un mandat riche avec, tout d’abord, deux mois consacrés à un véritable travail intellectuel. Il s’agissait alors de réfléchir, avec le chef opérations du GRM, à la réorganisation des équipes ROIM pour qu’elles puissent être engagées de la meilleure façon possible et de préparer techniquement l’arrivée du SMDR sur théâtre », explique-t-il. 

Le principal défi ? S’assurer que, du véhicule aux équipiers, en passant par les infrastructures, tout soit prêt pour opérer la transition du DRAC vers le SMDR. « J’ai du toucher à tout. À de l’aéro, de l’humain, de la logistique, des images satellites, etc. », énumère le lieutenant Thomas. Il s’agissait notamment d’identifier une zone respectant les gabarits de sécurité du drone au sein des emprises à partir duquel il sera mis en oeuvre, à commencer par Gossi, Gao et Ménaka. Aux Diables noirs d’ensuite se rendre sur chaque zone pour en vérifier l’état et, parfois, l’adapter avec l’aide du génie de l’Air pour coller au cahier des charges fourni par la STAT. 

Chaque SMDR est embarqué sur VAB et non sur ces remorques acquises et modifiées à l’occasion du défilé militaire du 14 juillet

Le volet logistique impliquait ensuite des contraintes techniques, tels que l’accueil de la STAT et la nécessité de disposer de containers climatisés pour entreposer les batteries du drone et empêcher une détérioration anticipée. 

Le SMDR doit par ailleurs venir s’insérer correctement dans un espace aérien chargé. Principale base française au Mali, Gao gère un trafic aérien comparable à celui de l’aéroport de Montpellier, rappelle le lieutenant Thomas. « Nous avons approché les contrôleurs aériens pour leur présenter le système, son gabarit et ses capacités. Vous, quelles sont vos contraintes et comment pouvons-nous nous adapter pour que le SMDR vole correctement ? ». 

Restait, enfin, « un gros travail pédagogique avec les hautes autorités ». Entre l’état-major et la réalité du terrain, tout est finalement histoire de compromis. Le drone devait, par exemple, être à l’origine transporté par un véhicule blindé léger de type PVP. Mais pour emporter les vecteurs, le personnel et le matériel divers, il a finalement fallu opter pour le VAB. « Même si il dispose d’une belle élongation, le but n’était pas de le fixer sur les bases mais plutôt de l’emmener sur le terrain au plus près des éléments de manoeuvre ». 

La seconde moitié de mandat aura demandé de se fixer à Ménaka et d’intégrer un SGRM pour éprouver tout le volet théorique constitué en conditions opérationnelles. Résultat, « nous avons eu des procédés très rapidement efficaces », relève le lieutenant Thomas. 

Le SMDR « V1 » en vue

Les premiers SMDR déployés au Mali sont en réalité de version de première capacité (VPC). Le calendrier établi et les RETEX qui découlent de ce mandat aboutiront au déploiement dans les prochains mois d’une version « V1 ». 

Le pointeur laser du SMDR n’est pour l’instant pas encore activé. En cause, un travail de stabilisation de la boule optronique obligatoire pour éviter les écarts de ciblage. Un élément peu significatif pour le 61e RA, dont la mission dominante reste le renseignement, l’ouverture de convoi ou le pointage relevant davantage des batteries d’acquisition et de surveillance (BAS) des régiments d’artillerie. 

La manoeuvre d’atterrissage implique par ailleurs de trouver un terrain au gabarit adéquat qu’il faut ensuite « nettoyer » pour limiter la casse. Un travail fastidieux, chronophage et potentiellement dangereux pour l’équipe, forcée de s’exposer durant de longues minutes. L’industriel concerné, Thales, travaille donc à raccourcir la distance nécessaire pour la récupération du vecteur. 

Contrairement au DRAC, le SMDR ne nécessite pas de redémarrage complet après chaque atterrissage. Il peut donc être redéployé en moins de 15 minutes, voire environ 3 minutes en cas de mission fixe

D’autres évolutions sont intervenues en cours de mandat. C’est le cas de la fixation à demeure du système antennaire sur le toit du véhicule. Une manoeuvre de déploiement évitée et un gain de temps sensible pour l’équipe, qui peut se concentrer sur l’assemblage et le lancement du vecteur. 

L’armée de Terre a également travaillé sur l’ergonomie au profit du binôme télépilote/opérateur charge utile. Celui-ci ne disposait à l’origine que d’une station sol combinant les fonctions pilotage et image sur le même écran, avec un choix à faire sur la fonction à prioriser. L’ajout d’un second écran dissocie enfin les deux fonctions et permet à chacun de se concentrer sur sa mission. La plus-value est surtout perceptible pour l’opérateur charge utile, qui profite enfin d’une image haute définition au lieu de devoir se contenter d’un visuel superposé à l’écran de pilotage. 

Entre formations et Patroller, un régiment en évolution

À renouvellement capacitaire, nouvelles missions et refonte des moyens humains. À quelques jours de remettre son commandement pour rejoindre la Direction du renseignement militaire (DRM), le colonel Bonnet revient sur l’importante transformation en cours. 

Le 61e RA remodèle ses batteries pour qu’elles puissent maitriser la gamme complète de nouveaux systèmes et répondre aux défis opérationnels et de la formation. À ce titre, le régiment vient de créer une 7ème batterie dont la mission première sera d’accompagner la montée en puissance du Centre de formation des drones (CFD) de l’armée de Terre. Une batterie « apte au défi, car il y aura 3000 drones qui seront en opération en 2024 dans l’armée de Terre. Derrière, il a évidemment un enjeu de formation et d’entraînement pour constituer le vivier suffisant », souligne le colonel Bonnet. 

Parmi ces 3000 drones, le Patroller, dernier chaînon de la trame drones de l’armée de Terre. Un programme retardé par l’accident intervenu en 2019. « Nous l’attendons, mais avec raison. Le Diable noir sait aussi être patient », pointe le colonel Bonnet. Le processus de fiablilisation du vecteur progresse, autorisant la reprise des essais industriels. Des vols auxquels assistent plusieurs Diables noirs en compagnie de la STAT. 

Si la cible finale n’est pas encore affermie, l’objectif sera bien de doter chaque batterie du 61e RA d’un système complet. Le calendrier est lui aussi mouvant, mais, en l’état, la livraison des deux premiers exemplaires est fixée pour 2022. À l’instar de toute nouvelle capacité, l’enjeu sera de pouvoir déployer au plus vite le Patroller sur un théâtre d’opération, que ce soit sur Barkhane ou ailleurs. Le 61e RA est donc dans les starting-blocks, avec des primo-formations en cours en Finlande auprès de l’industriel.

À Chaumont, le régiment dispose depuis quelques semaines d’un premier module de simulation. Un élément préfigurateur qui suffit pour entraîner un équipage, en attendant un système complet qui doublera la capacité, permettra le lancement des formations proprement dites et participera au maintien des qualifications. L’acquisition rapide de cette capacité de formation est primordiale, car elle doit compenser un nombre restreint de systèmes. « À terme, on pourra entraîner deux équipages en simultané pour simuler les relèves ou deux vols conjoints ».

« Pour autant, il est important de rappeler que le métier du régiment n’est pas de faire voler, c’est de renseigner. Faire voler n’est qu’un prérequis dans le processus de transformation de l’image en renseignement. Là aussi, nous avons un beau défi à relever. (…) Aujourd’hui, le régiment est prêt à être pleinement employé, et même très enthousiaste à l’idée de l’être. Nous nous réjouissons de ce rythme soutenu, du travail qui nous est confié », conclut le colonel Bonnet.