Armement: une coopération européenne en demi-teinte

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Ce n’est plus un secret: la coopération européenne en matière d’armement est aujourd’hui à la croisée des chemins. En dépit de succès technologiques certains, tels les hélicoptères Tigre et NH90, le bilan des programmes européens dans lesquels la France s’est impliquée se révèle décevant, estime la Cour des comptes dans un rapport intitulé « La coopération européenne en matière d’armement ».
 

Le couple NH90-Tigre, un succès technologique onéreux estime la Cour des comptes (Crédit: Airbus Helicopters)


 
Selon la Cour des comptes, le principal gain financier de la coopération européenne reste le partage efficace des budgets de R&D. Ainsi, la France n’aura supporté que la moitié des coûts de développement des hélicoptères Tigre et NH90. Au total, les six programmes étudiés* par la Cour des comptes auront donc engendré une économie de 8Md€ pour les finances publiques par rapport à ce qu’aurait coûté le lancement de programmes nationaux similaires. Les coupes budgétaires à court terme auront néanmoins limités ces économies en diminuant l’ampleur des commandes, augmentant de facto le prix unitaire des matériels acquis. Le NH90, par exemple, aura vu sa commande initiale réduite de 37% pour plafonner à 101 exemplaires, dont le coût unitaire s’est au passage envolé de 28%.
 
S’il constitue une réussite technologique et un véritable saut qualitatif par rapport à la génération précédente d’hélicoptères de combat, le Tigre n’en reste pas moins un hélicoptère « onéreux (…) et peu compétitif à l’exportation ». La diminution des commandes n’aura en effet pas suffi à assurer la pérennité et la compétitivité de la BITD impliquée. De même, tant les coûts d’exploitation élevés que l’absence de mutualisation en matière d’entraînement des équipages et l’exigence de retours industriels par les États impliqués finissent de ternir le tableau.
 
Face à ces couacs, la Cour des comptes propose d’emblée quelques axes d’amélioration. Il s’agit avant tout de limiter les partenariats futurs à deux, voire trois pays « partageant la même volonté politique de s’investir durablement, et prêts à s’engager sur une maîtrise d’ouvrage et sur une maîtrise d’oeuvre uniques ». La volonté politique partagée demeure en effet la condition prioritaire du succès des coopérations. Le message est connu : tant les spécifications techniques que les calendriers doivent être harmonisés pour garantir le succès du programme… Loin d’être gagnée, la bataille de l’harmonisation dépend elle-même du rapprochement des doctrines. Une nécessaire convergence à laquelle s’attaquera « l’initiative européenne d’intervention annoncée par le Président de la République », rappelle le Premier ministre Edouard Philippe dans une réponse attenante au rapport de la Cour des comptes.
 
Ensuite, le modèle des « États volontaires » au sein d’un maître d’oeuvre unique doit être favorisé à celui de l’Agence européenne de défense (AED), dont la structure rassemble 28 membres de droit. Exit donc l’AED, qui en 13 années d’existence n’a pas lancé le moindre programme d’armement, estime la Cour des comptes, et invite en conséquence à s’appuyer davantage sur l’OCCAR. Véritable « agence de référence », l’OCCAR a acquis depuis 1996 « une maturité et une expérience importante avec 4Md€ par an engagés sur les programmes d’armement », précise la Cour des comptes. Un avis partagé par Edouard Philippe, selon qui l’OCCAR « n’a pour l’instant, que peu de concurrence dans ce rôle ».
 
Reste que l’OCCAR ne rassemble aujourd’hui que six États européens, dont les cinq « géants » de l’armement européen. Tant le Premier ministre que la Cour des comptes militent donc pour conserver une certaine ouverture dans ces programmes permettant à un pays « réellement motivé » de les rejoindre en cours de route.
 
Enfin, le Palais Cambon préconise de ne pas lancer de nouveaux programmes « sans s’être au préalable assuré du réalisme de la programmation budgétaire associée ». Car si la prochaine LPM a bien identifié les différentes incohérences précitées, l’augmentation des crédits permettant d’accroître en partie la coopération européenne dépendra principalement des arbitrages budgétaires annoncés pour 2021. Un point essentiel dont Edouard Philippe relativise néanmoins l’impact, rappelant que le ministère des Armées œuvre « à faire coïncider le pilotage budgétaire avec celui de la conduite des programmes sur les long et moyen termes ».
 
 
*Outre le NH90 et le Tigre, il s’agit du système FSAF, de l’A400M, des frégates FREMM et du porte-avions franco-britannique.