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À l'heure de DefExpo, où en est le Make In India ?

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L’Inde est l’une des cinq plus grandes puissances militaires, pourtant elle est aussi la première importatrice d’armement. Malgré un budget supérieur à celui de son ancien maitre colonial (62 Mds$ pour 2018 soit 51Mds€), l’Inde ne peut compter que sur ses systèmes de défense soviétiques et donc bientôt obsolètes. En fait, la quasi totalité des crédits de défense sont alloués aux acquisitions d’armement étrangers et aux salaires qui prennent une part de plus en plus conséquente. La semaine prochaine s’ouvrira dans la région de Chennai un salon indien très symbolique, celui du changement, le DefExpo. Par l’édition de cette année, les responsables politiques et militaires indiens veulent enfin prendre le virage et sortir de leur dépendance à l’extérieur. Conformément au large plan du Make In India qui touche tous les secteurs industriels du pays, ce salon doit mettre l’accent sur la capacité de production domestique, ou du moins, montrer à ses visiteurs, que l’Inde est en train d’agir pour la renforcer.

 

Le Kestrel de Tata Motors, véhicule blindé de transport de troupes, lors d'une exposition de défense à New Delhi.  (Anindito Mukherjee / Reuters)

Le Kestrel de Tata Motors, véhicule blindé de transport de troupes, lors d’une exposition de défense à New Delhi. (Anindito Mukherjee / Reuters)


 

Si ce n’est d’avoir trois armées – plus ou moins bien équipées – pour protéger le pays, qu’est ce que l’Inde a tiré en bénéfice de ce demi-siècle de dépenses militaires à coup de milliards ? Certes, dans le domaine naval il semble par exemple que l’Inde dispose d’un savoir-faire non-négligeable : ses navires de surface intéresseraient plusieurs clients et elle produit en coopération avec Naval Group ses propres sous-marins sur son territoire. Il y a aussi son industrie Brahmos qui propose une assez large gamme de missiles conjointement avec les Russes. Mais si l’on parle de chars d’assaut, de véhicules blindés de combat, de chasseurs nouvelle génération, d’hélicoptère de combat ou encore de drones, le retard accumulé par une telle puissance est presque scandaleux. Pour les avions (Tejas) et les chars (Arjun) même, il se révèle que les militaires du pays sont réticents à les utiliser, alors de là à les exporter…

 

Il y a beaucoup de travail à réaliser, des efforts énormes et à une cadence somme toute très ambitieuse. On reconnait les qualités des Indiens quand il faut parler de croissance et l’on admet aussi celles de leurs militaires quand il s’agit de défendre le pays, mais là, elles risquent d’être tout bonnement insuffisantes. Être parmi les cinq premiers pays dans la production militaire et aérospatiale, en augmentant de près de trois fois la valeur de la production nationale d’ici 2025, voilà l’ambition de l’Inde de Modi ! Dans les chiffres, il s’agit d’atteindre la barre des 26 Mds$ (21Mds€) de production domestique, soit de une augmentation de près de 80% par an ! Et plus ambitieux encore, le pays devra être en mesure d’exporter 5 Mds$ (4Mds€) d’armement à ce même horizon, ce qui doit amener à la création de 3 millions d’emplois, rien que ça.

 

Ces objectifs sont ceux affichés par la nouvelle Defence Production Policy (DPP), destinée à remplacer la politique antérieure promulguée en 2011. Ouverte aux commentaires publics jusqu’au 30 mars, les experts du pays ont pu faire remonter leurs critiques au Gouvernement. Une dizaine de systèmes d’armes sont présentés dans le rapport comme l’avenir du Make In India : avions de combat, hélicoptères moyens, navires de guerre, véhicules de combat terrestre, systèmes d’armes autonomes, systèmes de missiles, armes à feu, munitions, explosifs, systèmes de surveillance etc. La politique vise également à faire de l’Inde un «leader mondial des technologies du cyberespace et de l’intelligence artificielle».

 

Parmi les nouveaux mécanismes mis en place pour atteindre ces objectifs, on retrouve les investissements étrangers dans les technologies locales qui ne seront plus plafonnés à 49 mais à 74%. Également, la nouvelle politique prévoie la création de deux «corridors de l’industrie de la défense» au Tamil Nadu et dans la région de l’Uttar Pradesh. La DPP prévoit que chaque corridor aurait «un groupe majeur d’unités de production de défense autour d’une unité d’ancrage» appuyés par un centre d’innovation et des centres d’essais.

 

Cette vision stratégique repose principalement sur l’établissement de coopérations avec les grands groupes étrangers, et les l’industriels de défense y sont incités par divers processus. Il faut rompre avec les erreurs passées par lesquelles l’Inde se retrouve aujourd’hui avec 68% des équipements de l’armée principalement fournis par l’Union soviétique, qualifiés de «vintage» par les responsables militaires, et qui, même si elle était capable de les produire de manière autonome, n’intéresseraient pas le marché international. Devant les parlementaires du pays, ces mêmes responsables ont indiqué que seulement 8% des systèmes d’armes pouvaient être considérés comme étant à la fine pointe de la technologie, et ceux-là, les Indiens ne sont pas encore capables de les proposer à l’étranger. Avec cette nouvelle politique d’acquisition et de production, l’Inde cherche à multiplier les accords de production sous-licence, et donc de transferts technologiques, pour donner à son savoir-faire l’élan dont il a tant besoin.

 

Outre cette politique de partenariat stratégique (SP) adoptée en fin d’année dernière qui prévoit l’établissement de partenariats stratégiques à long terme, l’Inde doit aussi compter sur elle-même, ce dont elle ne peut se targuer actuellement. Selon les experts indiens, les nombreux cas d’annulation de demandes de propositions (RFP), d’abandon de programmes après des mois de RFI (demande d’informations) en faveur de nominations dans le secteur public, ont conduit à un certain scepticisme dans le secteur privé vis à vis de l’État. Selon eux, autant que le secteur public a besoin d’être stimulé, le secteur privé a besoin d’encouragement. Aussi, pour atteindre les objectifs d’exportation, l’industrie de défense indienne doit montrer à l’étranger de quoi elle est capable, exposer ce qu’elle sait faire. Par exemple, l’un des spécialistes propose que l’Inde doit mener des « compétitions militaires professionnelles internationales basées sur des équipements de défense fabriqués localement afin d’établir sa crédibilité. »

 

Avant la publication de la DPP, les chefs d’État-major des trois armées ont révélé devant les parlementaires, non seulement les graves pénuries de matériel et d’investissements (malgré un important budget de défense, celui-ci ne suit pas la croissance global du pays et tend même, en proportion, à diminuer), mais aussi cette frustration grandissante face à une bureaucratie de défense civile. Mauvaise allocation des ressources, corruption, processus néfastes, doctrine militaire qui attend sa révision… le débat s’est déjà étalé tout le long du mois de mars, et la DPP qui intègre le SP va déjà être modifiée, pour éviter « une controverse politique » selon la presse indienne.

 

Comme nous l’avons dit, la nouvelle politique indienne en matière d’armement incite les industriels à s’engager dans des partenariats stratégiques de long terme avec les firmes reconnues pour leur savoir-faire, mais elle exclue les unités du secteur public de la défense indienne, comme Hindustan Aeronautics Limited ou Bharat Electronics Limited. Selon des sources du Ministère de la Défense du pays, cette exclusion est discriminatoire et pourrait même conduire à des allégations de corruption. Désigner une personne comme fournisseur de systèmes d’armes ou de plates-formes pendant des années pourrait donner lieu à des allégations de favoritisme, ce qui est évitable, a ainsi déclaré un haut responsable à India Today. « Lorsque vous parlez d’uniformiser les règles du jeu pour toutes les parties concernées, les unités de défense de la défense doivent y être incluses. Comment pourrait-il s’agir d’un terrain de jeu égal? » a alors déclaré Subhash Chandra, secrétaire à la production de Défense, lors d’une conférence de presse organisée pour annoncer le salon de défense national.

 

Ce salon, symbole du Make In India, a pour slogan «Inde: le noyau émergent de la production de défense » et doit aider à l’exportation de systèmes de défense indiens selon le communiqué officiel. Indisponible pour l’ouverture du salon le 11 avril, le Premier ministre Narendra Modi inaugurera le lendemain le pavillon «Make In India» pour appuyer cette volonté indienne d’aller vers une base industrielle de défense suffisamment développée pour être autonome.

 

Dans sa globalité, le salon accueillera 670 exposants, dont 517 venus d’Inde. Les responsables ont indiqué que certains visiteurs étaient des « partenaires spéciaux » comme la Russie, partenaire historique, et la Corée du Sud, un exemple pour l’industrie militaire nationale. Une commission conjointe avec la Corée du Sud est d’ailleurs prévue le 9 avril à Delhi, tout comme une réunion de coopération militaro-industrielle avec la Russie le 13 avril sur le salon.

 

À DefExpo, l’accent est évidemment mis sur les acteurs nationaux, et même les PME, qui disposeront de pas moins de 20% de l’espace du salon pour exposer leurs technologies. Côté exposants étrangers, on relève une baisse de leur participation, mais ce « repli » est expliqué dans la presse indienne par la conjoncture à court terme : « il est presque clair que le gouvernement est peu susceptible de se lancer dans une acquisition de système d’armes importantes. Les élections de Lok Sabha (chambre basse du parlement indien) approchant à grands pas, le gouvernement hésite à se laisser entraîner dans un débat sur les achats de systèmes d’armes. »

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