Jean-Christophe Notin est un ingénieur des Mines passionné par l’histoire et l’écriture, reconverti avec succès et talent dans le journalisme. A 43 ans, il publie chez Tallandier son douzième livre, « La guerre de la France au Mali ». Plus de 600 pages très denses sur une opération militaire d’exception. L’essayiste a déjà signé plusieurs ouvrages très remarqués parmi lesquels « La guerre de l’ombre des Français en Afghanistan », « La vérité sur notre guerre en Libye » ou encore « Le crocodile et le scorpion » sur la France en Côte d’Ivoire. Son dernier livre confirme un savoir-faire très sûr en matière de récit et surtout une capacité exceptionnelle à mettre en perspective une information puisée aux meilleures sources.
« La guerre de la France au Mali » de Jean-Christophe NOTIN. Editions Tallandier. 22,90 €
A la lecture de votre ouvrage, on reste perplexe devant la somme des informations recueillies. Combien de personnes avez-vous rencontrées pour ce livre ?
Très exactement 228, du sous-officier jusqu’à l’état-major particulier du président de la République, en passant par tous les niveaux de la hiérarchie militaire, sans oublier les divers services de renseignement et le Quai d’Orsay.
Quand avez-vous commencé à travailler sur ce projet ?
J’ai débuté mes interviews dès le mois de mars 2013, alors que l’opération Serval venait à peine d’être lancée. Et je menais en parallèle mon livre sur la Côte d’Ivoire.
Un an de travail pour un tel livre et pour une telle quantité de rencontres, c’est du stakhanovisme…
Ce sont les interviews qui me demandent le plus de temps. J’ai passé un an à sillonner la France pour rencontrer tous les interlocuteurs possibles. Je suis rarement resté assis. Et quand j’ai pensé avoir tous les éléments en main, j’ai débuté la rédaction proprement dite. Pour cette dernière phase, je suis resté pratiquement deux mois et demi à mon bureau sans en sortir…
Quels ont été les interlocuteurs les plus abordables pour vous ?
Les militaires, comme les diplomates ou les agents des services de renseignement, parlent bien à partir du moment où l’on respecte la parole donnée et qu’on ne cherche pas à les piéger. Je sais que ce n’est pas le cas de tous mes confrères, mais ça ne me gène pas de faire relire mes textes : ce n’est pas leur servir la soupe, c’est simplement le meilleur moyen d’éviter les erreurs et les faux pas. Les demandes de retrait restent exceptionnelles et il ne tient qu’à moi de les respecter ou pas. Il s’agit dans 90% des cas de conserver le secret sur certaines sources, humaines comme techniques. Les identités livrées dans le récit, soit in extenso soit avec des initiales, ne sont mentionnées qu’avec l’accord incontournable des hiérarchies respectives. Que ce soit dans les armées, les services ou les cabinets ministériels…
Et qui étaient les moins enclins à parler ?
La parole devenait de plus en plus contrainte plus on se rapprochait du pouvoir politique. En même temps cela peut se comprendre, puisqu’une partie du Quai d’Orsay s’était lourdement trompée dans ses analyses de la situation…
Vos sources sont elles restées franco-françaises ?
Oui, même si j’ai rencontré des Maliens à Paris. Je me suis également penché sur tout ce qui était publié sur le Mali dans la presse internationale, au besoin en faisant traduire des articles en russe ou en arabe. J’avoue que je ne connaissais rien au pays avant le début des opérations et qu’il m’a fallu réaliser un très gros effort de documentation.
Vous avez une connaissance très fine de Serval. Qu’est ce qui vous a le plus étonné dans cette opération ?
La réactivité du COS m’a sidéré : en quelques heures seulement, des opérations peuvent être décidées à Paris, montées à Ouagadougou, exécutées au Mali, le tout dans une synergie inédite avec la DGSE. L’endurance des soldats français a également été remarquable. Ils ont dormi par terre pendant plusieurs semaines avec le strict nécessaire pour boire et manger. Ils ont crapahuté et se sont battus avec des températures épouvantables. Il fallait être jeune… Les combats dans les Adrars ont été également perturbants. Il fallait aller chercher l’ennemi dans les grottes, avec des combats à très courte distance…
Cette guerre aurait-elle pu être conduite différemment selon vous ?
Les Américains auraient bombardé pendant des semaines, le temps de tout casser en face (à condition d’avoir le renseignement dont disposaient les Français…) et de débarquer des divisions entières à Bamako. Mais les djihadistes en auraient profité pour fuir. La rapidité de la manœuvre française, qui n’a laissé aucun répit à l’adversaire, s’est payée au prix fort de la logistique. Ceux qui se sont retrouvés dans le nord du Mali, sans lit ni treillis de rechange ou dentifrice l’avaient un peu mauvaise. Mais c’était en réalité inhérent à la surprise quasi-totale qu’avait constituée la décision du président de la République d’intervenir le 11 janvier, alors que depuis des mois il garantissait que jamais un soldat français ne combattrait au sol au Mali. Tous les acteurs de la chaine logistique que j’ai rencontrés m’ont expliqué qu’ils pouvaient difficilement faire autrement : il leur fallait faire passer en priorité des munitions, du carburant et de l’eau. Or les moyens de transport français sont notoirement insuffisants …