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Chez Thales Angénieux, de nouvelles optroniques pour élargir l’horizon du combattant

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Sans Thales Angénieux, pas d’opération de nuit pour les soldats français, pas d’identification d’une cible à distance pour beaucoup d’autres. Au cœur de la Loire, voici près de 90 ans que ses employés maintiennent des savoir-faire uniques en matières d’optique de précision, d’imagerie thermique et de vision de nuit. De la planète Mars aux opérations militaires, zoom sur une référence mondiale de l’optronique du combattant débarqué.

87 années d’ « excellens »

L’histoire d’Angénieux s’affiche dès l’entrée principale. À droite, un mur de photos et de posters à la gloire des optiques novatrices conçues par Pierre Angénieux, ingénieur-opticien qui a donné son nom à la marque. En 87 années d’activité, l’ « excellens »  entretenue à Saint-Héand aura accompagné les premiers pas de l’homme sur la Lune, côtoyé Richard Nixon et Woody Allen, est désormais sur Mars et continue d’être célébrée chaque année au festival de Cannes. Au fond, une frise plus modeste rappelle l’expansion vers la défense engagée après le rachat de l’entreprise en 1993 par le groupe Thales (alors Thomson-CSF).

Il ne faudra que quelques années à Thales pour mettre à profit l’expertise disponible et sortir, dès 1995, la jumelle de vision nocturne (JVN) Lucie (Lunette compacte intensifiée économique). Développée en un temps record et sur base d’une feuille blanche, la Lucie a été livrée à plus de 70 000 unités dans le monde entier. Tous modèles confondus, le nombre de JVN vendues dépasse aujourd’hui les 110 000 unités. Trois ans après la Lucie, Thales lance la jumelle multifonction portable Sophie, second pilier de la gamme militaire. Plusieurs fois amélioré, ce best-seller a depuis été vendu à 16 000 exemplaires dans 55 pays, dont la France. Et si l’entreprise reste discrète sur ses clients, elle reconnaît compter plusieurs références prestigieuses. Le Special Air Service britannique, les forces spéciales norvégiennes et, bien sûr, le Commandement des opérations spéciales (COS) français ont ainsi misé sur la JVN Bonie HP (High Performance), pour ne citer qu’elle.

Après trois décennies d’activité dans la défense, Thales Angénieux s’est durablement imposé comme unique centre d’excellence de l’optronique du combattant au sein du groupe français. L’essentiel des 10 000 m2 de surface de production est consacré à un marché défense représentant 80% de l’activité. Plusieurs milliers de JVN, plusieurs centaines de Sophie sortent chaque année des chaînes d’assemblage. Et la cadence peut rapidement s’accélérer si la demande l’exige grâce au vivier de compétences disponibles à proximité.

Thales est avant tout intégrateur Près de 95% des composants proviennent d’une filière française robuste jusqu’aux plus petits niveaux de sous-traitances. Au sein de celle-ci, la référence mondiale des tubes intensificateurs de lumière, Photonis, mais aussi Lynred, co-entreprise formée par Safran et Thales spécialisée dans les détecteurs infrarouges. Thales Angénieux s’appuie également sur un réseau régional d’une trentaine de fournisseurs très spécialisés. Face aux pénuries de composants électroniques engendrées par la crise sanitaire et renforcées par la guerre en Ukraine, le groupe a su anticiper une éventuelle paralysie en commandant des stocks sur fonds propres l’an dernier. De quoi maintenir la production jusqu’en 2023, « voire jusqu’en 2024 ».

Un aperçu de la ligne de production de JVN (Crédits : Thales/Sylvain Madelon)

L’innovation à tous les étages

L’innovation est à l’origine de la société et reste un moteur pour les 380 employés, dont les trois quarts sont rattachés au domaine militaire. Il faut en moyenne 18 mois pour les former. L’expertise alors acquise n’est pas de trop, car une optique est un composant complexe qui peut nécessiter jusqu’à deux jours de façonnage et 200 traitements de surface. Le viseur tête haute du Rafale, par exemple, requiert une vingtaine d’heures de travail. Même logique pour la lentille particulièrement délicate du système de vision hémisphérique Antares, lui aussi assemblé par Thales Angénieux et monté sur les véhicules Scorpion de l’armée de Terre.

Thales a injecté 7 Md€ dans sa seule R&D au cours des cinq dernières années. L’effort ruisselle jusque dans la Loire, avec plusieurs dizaines de millions d’euros investis en fonds propres pour le développement de nouvelles solutions. À Saint-Héand, ce soutien se manifeste aussi par l’installation d’un OptiLab, notamment doté d’une capacité d’impression 3D, et d’un laboratoire IMAGE’INN. Initialement orienté vers la conception d’optroniques aéronautiques, IMAGE’INN a vu le jour en 2013 à Élancourt. L’idée est simple : il s’agit, au travers d’un écran et de capteurs de mouvement, de mettre en œuvre une simulation comportementale « permettant de définir, tester, valider les interfaces d’un produit et ses fonctionnalités ». Plus besoin dès lors de passer par de véritables prototypes plus coûteux. Le concept a été reproduit à Saint-Héand en novembre 2019. Il a déjà contribué au développement de la dernière génération de Sophie et à l’émergence de la lunette de visée XTRAIM Weapon Sight.

La jumelle de visée XTRAIM, ici simulée grâce au laboratoire IMAGE’INN installé à Saint-Héand (Crédits : Thales

Fruit de 15 mois de développement, XTRAIM combine un viseur point rouge, une visée thermique de nuit et une fonction décamouflage de cibles jour et nuit au sein d’une même lunette compacte et légère. Par « décamouflage », comprenez la focalisation sur une menace grâce à la fusion de la voie infrarouge (IR) et de la voie directe optique (VDO). Plusieurs types de réticules sont disponibles, au tireur de choisir le plus approprié en fonction de ses habitudes ou de son arme.

Compatible avec les fusils d’assaut et mitrailleuses légères et avec tout type de JVN, cette lunette d’environ 500 g garantit une détection en infrarouge jusqu’à 1500 m et une identification à 250 m, voire 400 m grâce à la fusion IR/VDO. Son autonomie ? Supérieure à 500 h pour l’usage du réticule et à 7 h pour la vision thermique. En cours d’industrialisation, la lunette XTRAIM a été produite à une quarantaine d’exemplaires de pré-série pour l’instant. L’assemblage en série pourrait démarrer dès l’an prochain si l’un des « nombreux prospects commerciaux en cours » se concrétise.

Vers une 4e génération de Sophie

Thales est depuis longtemps bien installé dans le top 5 mondial de l’optronique portable. En face, une poignée de poids lourds comme le français Safran et l’israélien Elbit Systems. Et la compétition pour ce marché évalué à 1 Md€ par an ne fait que se durcir avec l’apparition de nouveaux acteurs. Alors pour se démarquer, Thales continue de renouveler ses gammes en musclant systématiquement les performances.

L’évolution est particulièrement visible dans le segment des jumelles multifonctions. Dévoilée en juin 2018, la jumelle multifonction Sophie Ultima ouvre une nouvelle page. Destinée aux observateurs d’artillerie, JTAC et forces spéciales, elle intègre quatre capacités au sein d’un seul boîtier : une voie infrarouge refroidie, une voie jour TV, un télémètre laser et une voie jour optique pouvant être fusionnée avec la vision thermique. Elle permet de reconnaître un char à 6 km, le double de la génération précédente. Le tout pour un poids de 2,5 kg et une autonomie de 4 h. La Sophie Ultima conserve par ailleurs une grande capacité d’évolution, notamment par l’ajout de nouvelles fonctionnalités mais « uniquement si la plus-value de celles-ci est avérée pour le client ». L’intelligence artificielle, par exemple, pourrait être mise à contribution pour de la détection automatique de cible.

La future jumelle multifonction Optima, une solution 4 en 1 pour un poids inférieur à 2,5 kg. (Crédits : Thales)

Ce modèle a déjà fait mouche à l’export, au terme d’une procédure remportée face à un cador étranger. La pré-série d’Ultima sera achevée ce mois-ci. Une centaine d’exemplaires devraient être produits d’ici 2023. Côté français, seuls quelques exemplaires ont été acquis à des fins d’évaluation. Mais de grands programmes de renouvellement sont attendus, pour lesquels Thales se positionne dès maintenant. Au sein de la ligne d’intégration, la bascule entre ancien et nouveau est en cours et, pour l’heure, la majorité de la production est encore tournée vers une Sophie « legacy » qui continue de trouver preneur. Dernièrement, un client d’Afrique du Nord en a commandé 650 unités, à livrer en moins de deux ans.

Ultima est la première référence de cette 4e génération de Sophie. Elle précède de peu la sortie de sa « petite soeur », la Sophie Optima. Aujourd’hui au stade du prototype, elle sera plus légère, plus compacte et offrira une capacité d’identification de jour à 4 km. Celle-ci est avant tout orientée vers les chefs de section au contact. Une troisième version est en cours de conception. Ce sera la jumelle Proxima, qui devrait tenir dans une poche, ne peser qu’1 kg et permettre d’identifier un ennemi à 1 km.

Minie, Nellie et après ?

Côté JVN, l’heure est à plutôt l’extension « par le haut » de la gamme « NightRise ». Avec sa dizaine de références, celle-ci parvient à répondre à tous les besoins, de l’infanterie débarquée aux forces spéciales. Clientes historiques, les armées françaises ont systématiquement renouvelé leur confiance depuis la Lucie. Suivront entre autres la Minie-D, sélectionnée en 2008 dans le cadre de FELIN, la Helie, acquise un an plus tard pour les pilotes d’hélicoptères de l’armée de Terre, et la Bonie HP, achetée à 2000 exemplaires par le COS.

Tous modèles confondus, de 20 à 25 unités sont assemblées par jour sur la chaîne JVN, et jusqu’à 4500 pour l’année 2022. Hormis un peu de production pour le programme FELIN, l’essentiel de la charge découle pour l’instant du succès de la Minie, retenue en 2018 dans le cadre du programme O-NYX. Elle remplacera la Lucie en service dans l’armée de Terre. Plus de 6500 exemplaires ont été commandés à ce jour.

Dernière-née, la JVN binoculaire Nellie est quant à elle en cours d’adaptation pour répondre au besoin exprimé par le programme BI-NYX, notifié à Thales en 2022. Une fois cette solution adaptée aux desiderata français, l’activation d’une tranche initiale permettra de lancer la production en série. Environ 10 000 unités pourraient être livrées en plusieurs étapes.

En coulisse, certains planchent sur un projet encore plus ambitieux : une « JVN pano » à quatre tubes intensificateurs de lumière. Un segment dans lequel Thales ne s’était pas encore aventuré, car la technologie, complexe et coûteuse, est réservée à une poignée de clients très spéciaux. Lancées il y a un an, les réflexions ont déjà abouti à l’élaboration d’un prototype. Mais d’ici au produit final, Thales compte bien injecter quelques technologies de rupture « maison ». Une manière parmi d’autres d’à nouveau démontrer la part de « génie » dans Angénieux.  

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