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Cap sur l’export et la massification pour CERBAIR, étoile montante de la lutte anti-drones

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« CERBAIR se développe bien ». Et même très bien, se félicite son CEO et co-fondateur, Lucas Le Bell. Depuis près de 10 ans, cette pépite française de la lutte anti-drones se maintient au sommet d’une vague que les affrontements en Ukraine et en mer Rouge ne font que renforcer. Incontournable en France, c’est vers l’export et l’agrandissement du portfolio qu’elle concentre désormais une grande partie de ses efforts.

Le redémarrage post-Covid 19 est complet, clôturant une période de laquelle l’entreprise parisienne est ressortie plus forte. « Le Covid a opéré, par nécessité, un recentrage du marché français. Ce marché français s’est avéré très dynamique, en particulier durant cette période 2020-2023 », constate Lucas Le Bell.

De fait, plusieurs programmes majeurs et autres initiatives principalement orchestrés à l’échelon ministériel se sont concrétisés depuis 2021. Ce sont des sujets comme PARADE, programme des armées conduit par Thales et CS Group et en cours de déploiement, mais aussi celui réalisé par le ministère de la Justice pour protéger plusieurs dizaines de prisons face aux intrusions et autres actes malveillants. « CERBAIR a la chance d’avoir remporté quasiment tous ces marchés étatiques français, soit en direct, soit en co-traitance, soit en tant que sous-traitant d’autres acteurs industriels ». En 2023, le chiffre d’affaires avoisine les 10 M€, en hausse de 20 à 25% par rapport à l’exercice précédent. « Cette année, nous espérons être bien au-dessus. Rapidement, sous deux ans, nous visons 20 M€ de revenus annuels », prédit Lucas Le Bell. 

Ces succès, CERBAIR les fait fructifier en multipliant les partenariats pour mieux percer dans le marché civil, bien que moins mature et imposant pour l’instant des règles interdisant le brouillage. Elle travaille, par exemple, main dans la main avec Securitas pour sécuriser les sites sensibles de grands industriels. Le rapprochement avec Innov’ATM, dont le système de détection Infodrone fait référence, permet à CERBAIR de se positionner dans la sécurisation des couches basses d’espaces aériens dans lesquels évoluent de plus en plus de plateformes robotisées. Un partenariat qui porte déjà ses fruits à l’étranger.

Une nouvelle année décisive démarre pour ses 40 employés, séquence marquée notamment par la livraison des premiers systèmes PARADE et leur déploiement cet été lors des Jeux olympiques et paralympiques de Paris. Entre la coupe du monde de rugby et les exercices Coubertin, préparations et essais réalisés en amont ne seront pas de trop car la mission à venir s’annonce complexe.

Cap sur l’export

Auparavant « très focalisé sur la France », CERBAIR a su développer son activité internationale pour revenir à un partage quasiment parfait entre les marchés nationaux et à l’export. « Nous entrevoyons, au travers de notre carnet de commandes la perspective de passer sur une dominante export. Il y a encore de belles choses à faire sur le marché français, mais l’export représente désormais l’essentiel de l’activité ». 

Combinés à la reprise d’après crise, les contrats nationaux ont été autant de références sur lesquelles miser auprès des prospects étrangers. « Avec un certain succès », apprécie Lucas Le Bell. Dorénavant, le carnet comprend une quarantaine de clients sur tous les continents, soit plus de 120 systèmes déployés en permanence sur une centaine de sites. C’est le cas en Inde, avec de premiers matériels livrés durant la crise sanitaire pour plusieurs clients de la sécurité intérieure et de la défense. Aussitôt installés, « ces matériels ont apporté une vraie satisfaction et ont donné lieu, pour la première fois en 2023, à un programme de déploiement avec une ambition beaucoup plus importante ». 

Principal débouché hors de France, le client indien « nous ouvre aujourd’hui de belles perspectives ». C’est également un client qui encourage à la mise en place d’une chaîne de production « Make in India » pour, si les planètes s’alignent, aller chercher des volumes encore plus conséquents. « Si », car le bon déroulé de ce type de projet reste assujetti à des questions de contrôle à l’exportation, particulièrement prégnantes dans un domaine de plus en plus sensible. « Nous attendons encore quelques autorisations », indique le chef d’entreprise. 

Le système Hydra 300, un best-seller retenu pour le programme PARADE (Crédits image : CERBAIR)

Après un premier essai transformé il y a quelques années au Moyen-Orient, CERBAIR a décroché en 2023 un contrat record avec une armée de la région pour un nombre et une gamme non détaillés de systèmes appelés à être employés dans une zone où sévissent les drones non coopératifs, et pas uniquement des modèles grands publics remaniés. « Désormais, la stratégie est simple : aller chercher les relations diplomatiques et géostratégiques très fortes entre la France et certains pays clients en marchant éventuellement dans le sillage de grands industriels ». Un spectre qui, derrière l’Inde, s’étend à l’Indonésie, la Grèce, la Roumanie, ou encore aux Émirats arabes unis.

L’intérêt pour l’export est d’autant plus marqué que la notion d’économie de guerre présentée par le ministère des armées reste lointaine dans le secteur de la lutte anti-drones. Bien que des directives internes incitent les industriels de la LAD à se préparer, ceux-ci ne bénéficient pas encore d’un engagement concret en commandes ou de perspectives claires sur le rythme attendu pour celles-ci. Les PME comme CERBAIR se tiennent cependant prêtes à investir dans l’expansion de leur capacité de production ou dans des stocks supplémentaires dès qu’apparaîtra la visibilité découlant des commandes.

« Aller chercher des oiseaux un peu plus rares »

Passée une phase initiale d’émergence, l’environnement français paraît désormais stabilisé autour de quelques acteurs. Quelques-uns exercent de facto le rôle de chef de file dans des domaines précis, que sont le brouillage, la détection, l’optique, les radiofréquences ou encore l’agrégation de toutes ces briques. « Nous avons la chance d’en faire partie, tout en gardant à l’esprit que ce n’est pas immuable », nuance Lucas Le Bell. 

La force du portfolio de CERBAIR, c’est sa capacité à exploiter le talon d’Achille de tout système robotisé, qu’importe son degré d’autonomie : la liaison de données, l’obligatoire cordon ombilical par lequel l’information est transmise à l’opérateur et, éventuellement, au reste des forces. « Notre cible est mouvante et évolue très vite », souligne néanmoins Lucas Le Bell. « Tout est très changeant car notre sous-jacent, le drone, est lui aussi très changeant. Celui qui se repose sur ses lauriers risque d’être obsolète un an plus tard ». L’innovation est donc centrale pour conserver ce coup d’avance.

Le Graal de tout industriel du secteur ? Un système « combat proven » et, dans l’idéal, ressorti vainqueur d’un affrontement direct. Protéger un aéroport en France est une chose, sortir indemne d’une confrontation avec un adversaire militaire au moins aussi bien équipé en est une autre. « Généralement, il en ressortira une solution plus robuste », estime Lucas Le Bell. Pour ses équipes, il s’agit maintenant de réussir cette mutation d’une lutte contre les petits drones civils de catégorie 1 OTAN vers celle dirigée contre des vecteurs bien plus massifs et complexes en améliorant la précision, la couverture fréquentielle, la portée, les temps de scan. Autrement dit, de déboucher sur une solution complète capable d’aller « chercher des oiseaux un peu plus rares ». Reste à garantir l’accès à l’information nécessaire pour compléter une base de données jusqu’à présent constituée de manière empirique en achetant les drones du commerce ou en « sniffant » les autres.

« L’Ukraine est un laboratoire extraordinaire pour expérimenter toutes ces technologies », observe Lucas Le Bell. Sa société y a déployé des solutions dès les premiers mois d’affrontement. « Nous leur avons proposé, de façon proactive, de fournir quelques systèmes, étape suivie de quelques ventes ». Quelques précieux RETEX sont parvenus jusqu’à Montrouge en dépit d’une fluidité et d’une qualité perfectibles, la remontée d’informations n’étant, en toute logique, pas la priorité des forces ukrainiennes. De quoi malgré tout complété une boîte à idées déjà alimentée par les RETEX issus de systèmes déployés sur cinq continents et amorcer la bascule vers la LAD de demain. 

Crédits image : CERBAIR

Derrière des performances reconnues, ses équipes ont d’emblée misé sur une pleine et entière souveraineté, « un vrai sujet et en particulier sur la lutte anti-drones ». Un pari risqué pour cette entreprise dont l’actionnariat reste quasiment à 100% français, mais qui aura su faire mouche dans un domaine de plus en plus critique. La notion n’est cependant pas encore suffisamment ancrée pour Lucas Le Bell. La révolution dans le domaine anti-drones est telle que tout le monde veut en tirer profit. Le segment attire donc énormément d’opportunistes et de revendeurs. Bref, des acteurs cherchant à générer rapidement un maximum de profits, relève l’entreprise. D’où une escalade marketing et la tentation d’aller chercher de la valeur ailleurs qu’en France, quitte à tenter le coup auprès de pays aux méthodes controversées. 

« Le pire, ce sont ces boîtes, parfois françaises, qui, tel le cheval de Troie, font rentrer des matériels étrangers. Des matériels qui proviennent notamment de Chine », déplore Lucas Le Bell. Exemple à la clef avec cette interface homme-machine à l’origine manifestement chinoise, présentée il y a peu dans une vidéo fournie par une société française et malencontreusement relayée par l’Armée de l’Air et de l’Espace. Un choix à contre-courant de la cohérence et de la maîtrise technologique pourtant prônées en haut lieu. Heureusement, les barrières de souveraineté mises en place par les armées ont tendance à se robustifier, pointe CERBAIR. 

Du statique au portable, du spécifique à la masse

« Une fois de plus, les champs de bataille nous montrent la vulnérabilité des équipements face à des drones de plus en plus petits, faciles d’accès et faciles à piloter. Je pense notamment aux drones FPV sont la hantise des bataillons de chars ou de transports de troupes. Dans un horizon de temps assez court, il faudra que chaque section, chaque char, chaque navire dispose d’un système anti-drones », résume le patron de CERBAIR, relevant au passage la marche à franchir côté français. « Cela prendra du temps, mais la France réfléchit à en acquérir plus. C’est une conviction très forte des armées, confrontées à plusieurs trous dans la raquette ». 

Jusqu’alors rare et essentiellement fixe, la lutte anti-drones doit se généraliser et entrer en mouvement. CERBAIR est déjà passé au système mobile, donc facilement et rapidement déplacé d’un lieu à l’autre. La prochaine étape reposera sur des outils embarqués adaptés à tous les milieux, le champ d’applications s’étendant rapidement aux systèmes navals et terrestres. Il y a peu, un robot terrestre était ainsi détruit par un drone aérien sur le front russo-ukrainien, un affrontement inédit « qui présage des conflits de demain ».

C’est avec ces enjeux en tête que CERBAIR multiplie les rapprochements avec les grands noms de la BITD française : Nexter et Arquus pour les véhicules militaires, Airbus sur les sujets aéroportés, Thales, MBDA et CS Group sur l’intégration de radiogoniomètres maison sur des systèmes d’armes ou encore Naval Group pour monter à bord des bâtiments de surface. CERBAIR a d’ailleurs sécurisé une première vente pour équiper des navires au profit d’une marine européenne. 

Vue d’artiste d’un VAB Mk 3 doté d’une solution anti-drones mobilisant des technologies développées par CERBAIR
(Crédits image : Arquus/CERBAIR)

La nature et le niveau de performance changeront selon le porteur, mais chaque système emportera un minimum de capacité, ne fût-ce que d’écoute. Pour évoluer d’une protection fixe de cibles à haute valeur ajoutée à un usage tactique généralisé, la miniaturisation et la robustesse sont primordiales. L’intégration d’une brique d’intelligence artificielle aussi, car nécessaire pour diminuer la charge cognitive de l’utilisateur et passer d’un moyen complexe exigeant des compétences rares donc précieuses à un équipement susceptible d’être opéré par tous.

Passé un système HYDRA 300 bien positionné, il est question de réinvestir dans des segments d’entrée et de milieu de gamme pour chercher à les miniaturiser et à en réduire le coût d’achat, portes d’entrée vers le potentiellement « sacrifiable » et la massification demandée par les armées. « Nous avons sorti un HYDRA 100 de nouvelle génération, par exemple, en 2023 et principalement à destination de la protection des sites industriels ». Idem pour l’HYDRA 200, second produit conçu par CERBAIR appelé à être remplacé par une nouvelle solution pour leur offre moyenne gamme.

Surtout, CERBAIR progresse sur la portabilité en développant un nouveau produit hybride et compact. Spécialiste de la détection, cela fait un moment que l’entreprise travaille à y joindre une capacité de neutralisation automatique à 360°. Rendu plus fin grâce à « une forme d’onde optimisée », le brouillage devient ici plus réactif tout en nécessitant moins de puissance, réduction d’émission de chaleur, du volume et du coût à la clef. Un travail « qui doit porter ses fruits assez prochainement » et dont le résultat sera dévoilé mi-juin à Paris lors du salon de défense Eurosatory.

Crédits image : CERBAIR