La ministre de la Défense belge Ludivine Dedonder a posé hier la première pierre du complexe qui accueillera les drones MQ-9B SkyGuardian de la Composante Air sur la base aérienne de Florennes, dans le sud du pays. Le rendez-vous était important pour la Défense, qui sera l’une des rares armées à déployer un système MALE de dernière génération.
En août 2020, la Défense signait avec l’entreprise américaine General Atomics pour l’acquisition de deux « Remotely Piloted Aircraft Systems » (RPAS) MQ-9B SkyGuardian pour 226 M€. Soit quatre vecteurs, deux stations sol (Ground Control Station – GCS) et un simulateur de vol dont la livraison initiale doit intervenir début 2024, avec quelques mois de retard sur le calendrier initial. Ne manquaient que les installations ad hoc pour assurer la conduite des missions et le soutien.
La construction de cette infrastructure a été confiée fin 2021 au consortium formé par le groupe Cordeel, le bureau d’études ARCHIPELAGO AR-TE, VK architects+engineers et Imtech. Dirk Cordeel, le directeur du groupe homonyme, s’est dit « très fier » de l’obtention de ce contrat supérieur à 25 M€ face à deux autres concurrents. Il assurera également l’entretien technique des bâtiments pour une durée de 10 ans, mission dévolue à Imtech. La livraison provisoire est prévue pour la mi-2023.
Ce nouveau complexe comprendra trois espaces : une zone administrative avec ses bureaux, vestiaires et autres espaces collectifs ; une zone opérationnelle où seront installés le simulateur et les GCS ; un hangar d’entretien où seront stockés les MQ-9B et le matériel de maintenance. L’ancien hangar F44 consacré auparavant aux drones B-Hunter sera remis aux normes, entre autres en terme de sécurité incendie, et servira d’espace de stockage pour les appareils et pièces de rechange.
Le tout sera moderne, fonctionnel mais aussi durable. Exit le recours aux énergies fossiles, des pompes à chaleurs fourniront l’énergie verte d’un ensemble « très bien isolé thermiquement » tandis que plus de 50% de l’eau de pluie sera réutilisée pour couvrir la totalité du besoin annuel en eau. « Moins de 5 % des terres excavées seront enlevées et 100 % du bois utilisé proviendra de sources renouvelables », complète la Direction générale des ressources matérielles (DGMR).
« La physionomie de la base va être complètement transformée en l’espace de quelques années », déclarait son commandant, le colonel Philippe Goffin, pour qui l’événement d’hier marquait « le début d’une rénovation complète ». Derrière le complexe MQ-9B, d’autres travaux majeurs sont en cours, notamment pour rénover la piste et les taxiways et permettre de maintenir et d’opérer les chasseurs F-35A acquis en 2018. Près de 1,5 Md€ seront consacrés aux infrastructures de la Défense au cours de cette législature, rappelait pour sa part Ludivine Dedonder.
Pour les militaires belges, l’arrivée du MQ-9B SkyGuardian est annonciatrice d’un véritable sursaut capacitaire. Non seulement ces RPAS réactiveront une capacité mise en sommeil au sein de la Composante Air, mais ils offrent des performances de premier ordre et garantissent l’extension du domaine d’emploi et la contribution « à une coalition internationale avec une capacité de renseignement ISR », souligne la Direction générale des ressources matérielles (DGMR).
« Avec l’arrivée de ces drones, nous faisons un grand pas en avant », déclarait la ministre de la Défense. « Ces drones nous permettront de recueillir quantités d’informations et de renseignements supplémentaires, ce qui facilitera l’exécution de nos missions tout en les rendant plus sûres ».
« En outre, ces drones peuvent aussi être utilisés dans des situations de crise sur notre territoire, par exemple pour cartographier des zones inondées, pour mesurer les dégâts ou pour trouver des survivants, voire des victimes ». Également mis à disposition lors d’opérations de police, ces drones « compléteront parfaitement notre capacité d’hélicoptères, qui seront alors employés de manière plus ciblée », relevait la ministre de la Défense.
Développé à l’origine pour les forces britanniques, le MQ-9B SkyGuardian est conçu pour opérer durant une quarantaine d’heures à une vitesse de pointe de 390 km/h et jusqu’à 40 000 pieds (12 000 m). Pour les senseurs, le choix de la Belgique s’est porté sur le trio de base : électro-optique, infrarouge et radar à synthèse d’ouverture (SAR). Celui-ci embarque une fonction « Ground Moving Target Indicator » (GMTI) pour le suivi de cibles en mouvement.
« Ce système est aussi le premier au monde capable de s’intégrer nativement dans l’espace aérien civil, ce qui veut dire que nous ne devons plus créer un espace ségrégué pour voler », pointe la DGMR. Le SkyGuardian est en effet équipé de deux outils de surveillance coopératifs, à savoir un système d’alerte de trafic et d’évitement de collision (TCAS) complété d’un Automatic dependent surveillance-broadcast (ADS-B). L’ensemble autorisera la réalisation d’entraînements et de missions dans un espace aérien belge dense et au dessus de zones fortement peuplées.
L’exploitation des images suivra deux canaux. Une fois récoltées, les informations pourront être transmises à une cellule « Process, Exploit and Disseminate » (PED) indépendante, « sensor agnostic » et déjà fonctionnelle sur l’emprise de Florennes. Après analyse, elle mettra un « produit fini » à disposition des unités belges et de leurs alliés. Mais le MQ-9B est également doté d’un module dédié à la transmission du flux vidéo directement vers les troupes au sol, à commencer par les forces spéciales et les spécialistes de l’appui aérien rapproché.
Les GCS n’ont pas vocation à être déployées à l’étranger, au contraire des vecteurs. Un choix des plus logiques, car « nous cherchons à effectuer des missions de 16 heures, dont 12 heures sur zone de mission, conformément au niveau d’ambition », relève la DGMR. Il s’agit donc de rapprocher l’outil du théâtre pour réduire au maximum le temps de transit et gagner du « time above target ». La Défense réduit au passage l’empreinte logistique du MQ-9B en opération extérieure, le déploiement ne mobilisant qu’une dizaine de techniciens.
Le MQ-9B SkyGuardian est par ailleurs le premier système MALE de nouvelle génération à adopter un système de décollage et d’atterrissage en mode automatique. À l’origine de 90% des accidents, ces deux phases seront menées par l’appareil via des liaisons satellitaires redondantes, l’équipage ne reprenant la main qu’en cas d’urgence.
La livraison du premier système permettra d’atteindre le jalon de la capacité opérationnelle initiale (IOC) à la mi-2024. L’entrée en service complétera la montée en puissance et garantira la pleine capacité opérationnelle (FOC) à la mi-2025. « Nous sommes globalement six mois après le calendrier du programme britannique, avec lequel nous collaborons énormément », relève la DGMR. Sur base de ces quatre vecteurs, la Défense prévoit 1200 heures de vol par an pour l’entraînement et jusqu’à 2500 heures de vol sur six mois en opération extérieure.
Les échanges belgo-britanniques dépassent la seule fourniture de RPAS pour s’étendre à la formation des équipages. Pour être opérationnelle, la Composante Air prévoit de constituer 12 équipages. Chacun sera composé d’un télépilote qualifié, un opérateur senseur et un « Mission Intelligence Coordinator », un officier de renseignement chargé de coordonner le lien tactique entre l’équipage et les bénéficiaires des informations récoltées. Certains télépilotes seront des pilotes de chasse requalifiés, d’autres se sont déjà faits la main sur le système précédent, le B-Hunter. D’autres encore seront formés ab initio. Tous les équipages effectueront leur formation en outre-Manche au sein d’une école mise sur pied sur la base aérienne de Waddington (Lincolnshire), qui hébergera les SkyGuardian (ou Protector RG Mk 1) de la Royal Air Force.
Le volet soutien du programme belge n’est pas exempt de défis, essentiellement en matière de ressources humaines. Les profils techniques sont rares et le remplacement simultané de nombreuses capacités ne fait qu’augmenter la pression sur les bassins d’emplois. Le personnel technique militaire étant « limité », différentes options sont à l’étude, dont celle d’un partenariat avec le secteur privé.
L’histoire ne s’arrête pas là, et la Défense belge planche déjà sur la suite. Le plan STAR, qui fixe les investissements militaires pour la période 2023-2030, prévoit d’engager une enveloppe de 288 M€ en 2024 pour la capacité MALE. De quoi engager l’acquisition d’un troisième système à deux vecteurs et une GCS. Le complément n’engendrera pas de modification majeure de l’infrastructure, un éventuel élargissement de la flotte ayant en effet été pris en compte dans le cahier des charges. Cette seconde phase augmentera le niveau d’ambition pour se conformer à une demande de l’OTAN : la fourniture d’un appui 24/7.
Les systèmes continueront d’évoluer en adéquation avec le partenaire britannique. « Comme nous souhaitons collaborer au maximum pour réduire les coûts et développer un maximum de synergies, nous cherchons à nous rapprocher le plus fidèlement possible de la configuration britannique », indique la DGMR. L’une des premières évolutions à l’étude relève de l’intégration d’un nouveau « Due Regard Radar » dans le nez du vecteur, un radar à antenne active « qui permettra de détecter le trafic aérien non coopératif » et d’élargir le domaine de vol à tous les types d’espaces aériens. D’autres options sont envisagées, tel que l’ajout d’une Liaison 16. Conformément à la Vision stratégique belge, des provisions sont prévues pour l’emport d’armements sans devoir renvoyer les appareils en rétrofit chez l’industriel. La décision d’armer le SkyGuardian devra inévitablement faire l’objet d’un débat politique et d’une décision gouvernementale.