Après une « année particulière », Arquus aspire au rebond en 2021

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Arquus aura « limité la casse » en 2020, malgré un résultat en baisse de 10% par rapport à l’exercice précédent. La filiale du groupe Volvo table maintenant sur un rebond équivalent en 2021 en tablant majoritairement sur le marché national. Mieux, elle ambitionne d’atteindre le cap du milliard d’euros de chiffre d’affaires d’ici à 2030. 

Un chiffre d’affaires en baisse de 10%

Arquus avait « démarré l’année plein d’élan et d’optimisme, et notre élan a été brutalement stoppé par la crise de la Covid-19 », relevait ce mercredi son PDG, Emmanuel Levacher, à l’occasion d’une conférence de presse. La baisse du chiffre d’affaires est finalement maîtrisée, de l’ordre de 10% par rapport à 2019 pour un résultat légèrement inférieur à 600 M€. « Nous avons craint en début d’année que ce soit bien pire que cela, donc pour nous 10% c’est plutôt une preuve de très bonne résistance ». Et si Arquus ne communique pas précisément sur sa rentabilité, Emmanuel Levacher confirme que son entreprise reste « largement positif ». 

Face à la crise, l’activité s’est globalement recentrée les services et le client France, auprès duquel il aura réalisé 73% de son activité, en hausse de 23% par rapport à 2019. Le secteur des services a quant à lui grimpé de 40%, quand la production de véhicules neufs plongeait de 30%. Le carnet de commandes plafonne à 5,5 Md€, dont 1,3 Md€ de part ferme, et reste « à un niveau à peu près équivalent à celui qu’on avait fin 2019 puisqu’on a reçu autant de commandes qu’on a facturé, donc un book to bill de 1 ». 

Autant le marché national s’est bien tenu et continue sur sa lancée, autant « l’année 2020 aura été quand même une année plus faible en terme de prises de commande à l’export ». En cause, les entraves à la prospection à l’étranger et, surtout, une incertitude économique parfois synonyme de report ou d’annulation des programmes d’armement. 

Si le segment export a donc chuté de 50%, Arquus peut néanmoins se féliciter des quelques succès engrangés, dont « quelques véhicules qui sont des porteurs pour des systèmes de nos partenaires MBDA et Nexter et qui sont à destination d’un pays d’Afrique du Nord » et l’acquisition par la police spéciale suédoise d’un nombre non divulgué de véhicules Fortress. S’y est ajoutée, en toute fin d’année, une commande majeure des forces armées royales (FAR) du Maroc pour 300 véhicules VLRA.

Plus d’un millier de véhicules produits

Malgré quelques semaines de ralentissement nécessaire pour mettre en place de nouveaux protocoles, les équipes d’Arquus seront parvenues à livrer 1166 véhicules neufs et 508 véhicules régénérés en 2020 – un record selon Emmanuel Levacher. Près de 300 véhicules neufs ou revalorisés sont sortis des lignes d’assemblage au plus fort du premier confinement afin d’équiper en priorité les unités françaises en opération à l’étranger et en métropole. Il s’agissait par exemple de 4×4 VT4 à destination du Régiment médical et d’une quarantaine de VAB SAN CIED pour Barkhane. Des VT4 dont la livraison est désormais arrivée à mi-parcours et qui auront vécu leur première OPEX l’an dernier au Liban dans le cadre de l’opération Amitié. 

Autre priorité, la montée en puissance de Scorpion, programme majeur de remplacement des blindés médians de l’armée de Terre. Arquus et ses partenaires du GME Scorpion, Nexter et Thales, auront réussi à présenter à la DGA les 128 Griffon attendus en 2020. Un effort de qui s’est aussi traduit par la qualification du tourelleau téléopéré (TTOP) T1 du Griffon, dont 99 exemplaires ont été livrés à la DGA. 

Côté revalorisation, « la SIMMT nous a demandé d’accélérer puisque, du fait de l’usage intensif de ces matériels en opération et de la crise du Covid, il a fallu que nous puissions monter en puissance », indique Levacher. Ces opérations occupent désormais plus de 30% des capacités industrielles du groupe. 

Enfin, la crise sanitaire n’aura pas empêché la finalisation de certains programmes export. Le Koweït a ainsi reçu les derniers Sherpa relevant d’un contrat pour 300 exemplaires signé en 2016. Une cinquantaine de véhicules blindés Bastion et différents types de camions ont été fournis à des forces africaines, « en particulier du G5 Sahel ». Activité moins connue, Arquus a procuré des châssis et des blocs d’alimentation à son partenaire indonésien PT Pindad, qui produit aussi des blindés. Le groupe français est également parvenu au bout du contrat ODAS (ex-DONAS) signé en 2014 avec l’Arabie Saoudite pour plusieurs centaines de véhicules VAB Mk3 et Sherpa. 

L’approvisionnement aura donc pu suivre en dépit d’inquiétudes initiales sur la résilience de la chaîne de sous-traitance. « Nous n’avons pas eu de gros gros bugs », signale Levacher. Même lorsque la pièce vient de très loin, à l’image de la base véhiculaire du véhicule léger VT4, produite en Thailande. Pour le PDG d’Arquus, il convient de rester très prudent. « On est pas sorti de l’auberge, la crise n’est pas encore derrière nous », explique-t-il, insistant notamment sur les soucis engendrés par une pénurie de micro-processeurs et par les tensions croissantes sur les matières premières.

Des VAB de l’armée de Terre en plein revalorisation sur le site de Garchizy (Crédits : Arquus)

Rebondir en 2021

Après le recul, l’année en cours doit être celle d’un rebond qui permettra de retrouver le niveau atteint en 2019. Pourquoi et, surtout, comment ? En attendant une reprise à l’export, l’espoir reposera en priorité sur la France. Tout d’abord grâce au Jaguar, seconde plateforme majeure du programme Scorpion dont les 20 premiers exemplaires sont attendus cette année. Arquus est chargé du volet mobilité, du tourelleau téléopéré (TTOP) T3 et de la logistique des pièces de rechange. L’entreprise livrera par ailleurs 119 Griffon et 122 TTOP T1 supplémentaires et lancera la production des TTOP T2 et T3. « Ce sera donc aussi une grosse année Scorpion », estime Levacher. 

Arquus aura potentiellement deux nouvelles cartes à jouer avec le client français. Dans le segment historique des camions, premièrement. « Il y a 7500 camions à renouveler », rappelle Levacher. Sans certitude quand à un remplacement « un pour un » faute de spécifications, ce marché devrait cependant représenter plusieurs milliers de porteurs tactiques et logistiques à livrer aux Armées françaises. 

La concurrence, personnifiée par les Daimler Truck, Rheinmetall MAN, Iveco, DAF, Scania, s’annonce redoutable, aussi Arquus redouble d’efforts pour consolider la gamme de porteurs polyvalents Armis dévoilée en juin dernier. Après la démonstration du modèle 6×6 en septembre 2020, la famille Armis devrait s’agrandir en 2021 avec les versions 4×4 au 8×8. Reste, pour le ministère des Armées, à officialiser le lancement de l’appel d’offres, une phase attendue pour cette année et qui fournira à l’industriel des spécifications précises.

À une autre échelle, la seconde carte sera celle du renouvellement des blindés de la Gendarmerie nationale. Ce programme baptisé « Véhicules blindés de maintien de l’ordre » (VBMO), Arquus le piste depuis quelques années. Il dévoilait dès 2019 une solution basée sur un Sherpa configuré pour répondre aux attentes supposées de la Gendarmerie nationale. Une offre qui se veut suffisamment large que pour pouvoir être adaptée lorsque l’appel d’offres correspondant sera diffusé.

Quant à l’export, le pire est passé mais l’incertitude devrait encore persister quelque temps. « On a souffert pas mal d’être un peu déconnectés de nos clients l’an dernier », relève Levacher, qui ajoute que « 2020 a quand même été un peu un trou d’air à l’export ». L’entreprise française n’aura, par exemple, pas su acter un contrat pour 200 Bastion avec un client asiatique, la décision ayant été reportée sine die en raison des difficultés budgétaires. Il convient dès lors de rester prudent car nombreux sont les prospects dont l’économie reste précaire, « y compris dans des pays réputés riches ».

Un outil industriel en pleine réorganisation

Le rebond passe aussi par une rationalisation de l’outil industriel. « Nous avions parlé l’an dernier de l’intention de le faire. Maintenant c’est en train de se faire, nous n’avons pas ralenti le rythme sur ces investissements et sur la mise en place de ces nouveaux processus », déclare Levacher. Derrière les 12 M€ débloqués, une volonté de spécialisation des quatre sites industriels du groupe. Quand chaque entité réalisait jusqu’à présent « un peu tout », l’avenir est à la concentration des savoir-faire. 

Grâce à un investissement de 2,5 M€, Saint-Nazaire (Loire-Atlantique) devient ainsi le centre d’excellence pour le maintien en conditions opérationnelles (MCO) et les activités de régénération. Y sont ou seront traités, entre autres, les camions TRM 2000, véhicules blindés PVP et VBL Ultima. Limoges (Haute-Vienne) sera le pôle unique pour la production de véhicules neufs. Il bénéficiera d’une enveloppe de 8 M€ pour la construction d’une nouvelle plateforme logistique au plus près de la ligne d’assemblage. 

Aux équipes de Marolles-en-Hurepoix (Essonne) reviendront la maîtrise de la militarisation des moteurs ainsi que la fabrication et la réparation des organes mécaniques. Enfin, le site de Garchizy, dans la Nièvre, se concentrera sur la production des caisses blindées et la logistique des pièces de rechange. Depuis 2018, celui-ci accueille le Hub Arquus, une plateforme logistique unique de 20 000 m2 qui devrait être capable de stocker 35 000 références et traiter 7500 lignes de commandes par mois en 2021. Soit, un volume d’activité multiplié par huit en un an. 

Au-delà de la réorganisation physique des sites, Arquus revoit l’entièreté de ses processus et méthodes. « Nous mettons aussi en place un système de production qui, dans notre jargon, s’appelle le VPS, le Volvo Production System ». Ce mécanisme adopte toutes les technique de production lean, permettant d’obtenir une meilleur flexibilité. Selon le PDG d’Arquus, le souci n’est pas économique. Il s’agit plutôt de répondre à un besoin d’efficacité industrielle qui doit ensuite se répercuter dans la qualité et le respect des délais. Si impact économique positif il y a, ce sera l’une des conséquences des engagements pris en qualité-coût-délai. Respecter ceux-ci, c’est en effet éviter des frais de retard, des surcoûts résultants du décalage du développement, de remise à niveau technique, et de frais de garantie. 

Le Scarabee, vitrine des nouvelles technologies sur lesquelles Arquus mise pour assurer sa croissance d’ici à 2030 (Crédits : Arquus)

Vers 1 Md€ de chiffre d’affaires en 2030

« Notre ambition, c’est d’arriver le plus vite possible, mais avant 2030, à ce que cette entreprise soit une entreprise qui pèse à peu près 1 Md€ par an de chiffre d’affaires en moyenne ». Un objectif qui n’est pas juste un chiffre symbolique, mais permettra à Arquus d’atteindre la taille critique pour soutenir le développement de nouveaux produits et l’innovation. Le projet n’est pas démesuré pour Emmanuel Levacher, qui parie sur une croissance annuelle moyenne de 5% sur la décennie. 

« C’est tout à fait à notre portée », considère-t-il, misant sur de nouveaux produits et des innovations de rupture. Arquus planche depuis un moment sur quatre briques principales, que sont la robotisation, la numérisation, la gestion de l’énergie et la survivabilité. Ses équipes bénéficient pour cela des nombreuses synergies établies avec d’autres filiales du groupe Volvo, à commencer par Volvo Autonomous Solutions. Côté automatisation, Arquus planche non seulement sur le roulage en convoi, mais aussi sur une solution baptisée « Mission Extender », un équipier intelligent en accompagnement du véhicule principal. Nombre de ces technologies sont aujourd’hui synthétisées dans le blindé léger Scarabee, véhicule hybride de nouvelle génération officiellement lancé le mois dernier. 

La France restera une terre d’opportunités. La prochaine loi de programmation militaire est annonciatrice de programmes qu’Arquus se donne les moyens d’adresser. L’éventuelle hybridation de certains véhicules blindés, par exemple, en accord avec la politique énergétique du ministère des Armées. Un sujet exploré de longue date par l’industriel, mandaté par le ministère des Armées pour le développement d’un prototype de Griffon hybride attendu pour 2022.  

S’il vise pour l’instant l’export, le Scarabee attend son heure pour répondre au besoin de renouvellement des VBL de l’armée de Terre. L’acquisition de son successeur, le Véhicule blindé d’aide à l’engagement (VBAE), ne pourrait être actée qu’au cours de la prochaine loi de programmation. Alors, en attendant le cahier des charges, Arquus a fait le pari d’un véhicule modulaire doté d’une capacité d’emport de deux tonnes, de quoi faciliter un recentrage sur le besoin français lorsque celui-ci aura été exprimé. 

Autre programme français dans le collimateur d’Arquus : le Module d’appui au contact (MAC), toujours en gestation. « Je vous confirme que nous travaillons sur un concept, que nous serons candidats lorsque l’appel d’offres sortira et que nous avons bien l’intention évidemment de nous associer avec des partenaires en France », annonçait Levacher. Arquus bénéficiera pour cela des savoir-faire du groupe Volvo en génie civil, au travers de la filiale Volvo Construction Equipments. Le programme MAC n’interviendrait cependant qu’après 2025. Également convoité par le duo CNIM-Texelis, cette plateforme succèdera entre autres à l’engin blindé du génie valorisé.

Derrière l’objectif financier, l’autre enjeu à l’horizon 2030 sera de parvenir à l’équilibre parfait entre les piliers produits et services – objectif parfaitement atteignable au vu de la belle progression constatée cette année du côté des services – et les marchés France et export.

« Aujourd’hui nous sommes encore très français, et en particulier en 2020 », souligne Levacher. Pour celui-ci, il y aura aussi un équilibre à trouver au sein de l’export, entre la clientèle européenne (25%) et le reste du monde (25%). Malgré le succès engrangé en Belgique grâce au partenariat CaMo, la clientèle européenne demeure une part modique des exportations. La conquête de nouveaux marchés européens est donc prioritaire et « pas forcément dans les très grands pays ».