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À Canjuers, le Jaguar ouvre une nouvelle page de la cavalerie française

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Objectif 2023 et après

Sept régiments de cavalerie seront dotés du Jaguar, à raison d’une trentaine de véhicules chacun à l’horizon 2030. Premier bénéficiaire, le 1er REC percevra quinze véhicules dès cette année, avant d’en rétrocéder trois l’an prochain au terme de sa transformation. Chaque régiment transformé disposera ainsi d’un parc initial de 12 véhicules, progressivement renforcé au fur et à mesure des réceptions.

Placer le Royal étranger en tête de file n’est pas un choix anodin. De sa transformation dépend en effet l’atteinte du prochain jalon majeur de l’armée de Terre après celui de la projection du Griffon en OPEX à l’automne dernier : la mise sur pied d’une première brigade interarmes Scorpion (BIA-S) projetable avec un composante sur Jaguar d’ici fin 2023, rôle dévolu à la 6e brigade légère blindée (6e BLB).

Le Jaguar est certes livré, mais « ce n’est pas pour autant que le travail s’arrête là », note le lieutenant-colonel Joffrey. Sa pleine qualification n’est pas encore prononcée et les exemplaires confiés actuellement au 1er RCA sont dits « RPQ 0 », pour « revue préliminaire de qualification 0 ». Un jalon intermédiaire édicté par la DGA et jugé suffisant pour permettre d’entamer la transformation des équipages. Il correspond à la volonté de la DGA de mettre au plus vite à disposition des forces un matériel qui, bien qu’en cours de qualification, sera suffisamment mature et sûr d’emploi que pour autoriser la tenue de certaines actions d’appropriation.

« Si le Jaguar ne répond pas totalement aux spécifications mais que nous pouvons déjà réaliser des manœuvres simples et former nos gens, cela nous intéresse évidemment ». Chaque phase correspond aussi à l’activation de certaines fonctionnalités. Exemples avec l’intégration prochaine d’un détecteur interne de monoxyde de carbone ou avec le missile MMP, plusieurs fois testé avec succès lors de tirs « simples ». D’autres fonctions du MMP seront qualifiées d’ici la fin de l’année 2022. « La prochaine étape sera de réaliser un tir réel pour qualifier le mode tir et oublie ».

À l’automne prochain, la DGA devrait pouvoir prononcer le standard « RPQ 1 » autorisant l’entame du cycle de préparation opérationnelle nécessaire pour atteindre le jalon de la BIA-S. Restera ensuite une année pour parvenir au niveau de la « revue de qualification » (RQ), préalable obligatoire à l’éventuelle projection du véhicule.

L’attention portera à nouveau sur le missile MMP. « Dans ce dernier niveau de qualification, nous allons qualifier le fait de pouvoir le contrôler durant son temps de vol, de lui permettre de redésigner une cible. Ainsi, tout ce qu’il est possible de faire avec le poste de tir débarqué pourra l’être aussi sur la version embarquée », indique le lieutenant-colonel Joffrey.

Bien que le Jaguar ne dispose pas de moyens d’observation déportés, l’ajout d’une capacité de tir au-delà de la vue directe (TAVD) est bel et bien d’actualité. « Il y aura, lorsque le dernier niveau de développement du Jaguar sera développé pour la BIA 23, une capacité à désigner un objectif non pas visuellement mais par des coordonnées fournies par un observateur ou un système tiers », confirme l’officier de marque. Si, fin 2023 et à l’aune de son utilisation par les forces, le véhicule « coche toutes les cases », la DGA sera dès lors en mesure de prononcer une autorisation d’emploi et une mise en service opérationnelle.

La qualification ne marque pas l’arrêt de l’évolution du véhicule. « Nous nous donnons la possibilité, plus tard, de disposer d’autres briques, de solutions qui ne sont pas encore prêtes », annonce le lieutenant-colonel Joffrey. Tout comme pour le Griffon, le travail incrémental se poursuivra durant toute la durée de vie du véhicule puisque « à peu après arrivé à sa mi-vie, nous allons commencer à traiter les obsolescences des composants les plus anciens » tout en continuant à « intégrer les nouvelles technologies et les besoins qui viendront de ses utilisations opérationnelles ». Avec un horizon fixé au-delà de 2030, il faudra donc attendre avant de voir apparaître un « Jaguar 2.0 ».

Le 1er RCA à nouveau en pointe

Chaînon central du programme Scorpion, le 1er RCA hérite une fois encore d’une double mission : transformer les futurs équipages et faire entrer les engins dans le patrimoine de l’armée de Terre. À l’instar du Griffon, celles-ci sont du ressort du Centre de formation et de perception interarmes (CFPIA), commandé par le lieutenant-colonel Bertrand et appuyé par le 4e escadron du 1er RCA.

L’arrivée du Jaguar, le CFPIA s’y prépare depuis fin 2019. Afin d’être au rendez-vous, ses instructeurs ont suivi une primo-formation en octobre et novembre 2021 à Roanne, dans les locaux de Nexter. Un stage complété par le tir de primo-formation les 12 et 13 janvier à Canjuers et mené en parallèle à la formation des primo-pilotes. Depuis lors et jusqu’en avril, ces « primo-formés » concentrent leurs efforts sur la création du contenu pédagogiques afin, dans un premier temps, de former l’ensemble des moniteurs et aides moniteurs.

Pour conserver un équilibre opérationnel pendant la transformation, l’armée de Terre a décidé que chaque régiment transformerait deux escadrons dans la foulée, suivis environ 18 mois plus tard d’un troisième escadron. Le 1er REC enverra un premier escadron en mai prochain. Un autre suivra au second semestre, suivi des deux premiers escadrons du RICM en début d’année 2023. En l’attente de leur passage à Canjuers, les régiments de cavalerie se sont déjà appropriés le système SICS, notamment installé sur l’AMX-10 RCR. Avec, à la clef, un gain de temps appréciable dans le processus de transformation.

Quand le Griffon permettait d’adopter une logique de formation semi-décentralisée, donc en partie effectuée en régiment, la complexité du Jaguar exige de centraliser toute l’instruction à Canjuers. Celle-ci est exclusivement technique, le volet tactique étant abordé en régiment. Ce parcours s’étendra sur six semaines pour le chef d’engin, dont une semaine d’appropriation technico-tactique, et sur trois semaines pour le pilote et le tireur. Chaque séquence comprendra un volet individuel suivi d’un volet collectif, dont « le point d’orgue sera le tir, réalisé en dernière semaine de transformation », précise le lieutenant-colonel Bertrand.

Petite particularité du Jaguar : le chef d’engin suivra une formation de conduite élémentaire lui donnant la capacité de déplacer l’engin en urgence. Il possède par ailleurs sa propre conduite de tir, lui permettant d’utiliser l’ensemble des systèmes d’arme. Chaque session est dimensionnée pour un escadron, soit 18 pilotes, 18 tireurs et 20 chefs d’engin, volume suffisant pour armer quatre pelotons à quatre engins.

Le 1er RCA dispose d’un panel d’outils pédagogiques et de simulateurs également destinés à appuyer l’entraînement et le contrôle régulier des compétences. Le simulateur d’entraînement peloton (SEP) et l’entraîneur technique et tactique du peloton (ETTP), centrés sur le tireur et le chef d’engin. L’ETTP sera principalement déployé dans les régiments. Le simulateur d’instruction et d’entraînement au pilotage (SIEP), ensuite, est destiné aux pilotes et sera utilisé en parallèle à un véhicule école détourellé pour accueillir un poste instructeur. Ce Jaguar sera modifié à Bourges en mars afin de parvenir début avril à Canjuers. Enfin, le kit pédagogique canon de 40 (CN40) est complémentaire des SEP et ETTP et permettra aux tireurs et chefs d’engin d’acquérir les compétences relatives aux fonctionnalités de la tourelle.

La transformation des équipages existants se jouera en parallèle à la formation des futurs équipages. Après leur formation militaire initiale, les engagés volontaires souhaitant servir sur Jaguar suivront un cursus de spécialité avant de rejoindre le 1e RCA pour être formés en tant que pilote ou tireur. Pour ces profils, le rendez-vous est fixé pour 2023. Pour les futurs chefs d’engin, ce cursus aura exclusivement lieu à l’école de cavalerie de Saumur. « Nous sommes donc directement dans une dynamique de bascule de l’AMX-10 vers le Jaguar », commente le lieutenant-colonel Betrand.

Vérifier avant de livrer

Réception, vérifications de bon fonctionnement et perception par les régiments sont aussi du ressort des chasseurs d’Afrique. Si la première et la dernière étape sont principalement administratives, la phase de VBF est complexe et exige une véritable expertise technique. Pour ce faire, le bureau maintenance et logistique du 1er RCA s’est doté il y a près de deux ans d’une cellule d’accueil Scorpion chargée de gérer le flux d’arrivée des Griffon et Jaguar. Ces vérifications sont de quatre types : dynamique, statique, centrée sur les systèmes de communication et, enfin, sur les systèmes d’arme. La réalisation de tirs de vérification clôture la manœuvre et valide l’emploi du véhicule.

Ces VBF, ce sont plusieurs centaines d’actions réalisées en l’espace de cinq jours par une quinzaine de personnels. Ici aussi, rationalité et économie de temps dominent. Les campagnes de tir, par exemple, s’opèrent autant que faire se peut par tranche de quatre engins afin de ne pas bloquer un équipage et une zone de tir durant une demi-journée pour un seul engin.

Jusqu’à présent, les opérations de VBF n’ont pas rencontré d’obstacles majeurs. Les rares « petits soucis » relevés sont de l’ordre du câble mal branché en raison des vibrations. « Comme tout véhicule neuf, le Jaguar fonctionne très bien mais notre rôle consiste à le fiabiliser par l’entremise du groupe multi-entreprises constitué par Arquus, Thales et Nexter », indique le commandant Vincent, chef du BML du 1er RCA. Cette équipe industrielle restera à Canjuers durant les deux prochaines années avant de passer le témoin à un régiment du matériel.

*Hormis les 1er REC et RICM, le Jaguar sera opéré par les 1er régiment de spahis, 4e régiment de chasseurs, 3e régiment de hussards, 1er régiment d’infanterie de marine et 1er régiment de hussards parachutistes.

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