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À Canjuers, le Jaguar ouvre une nouvelle page de la cavalerie française

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L’heure de la transformation Scorpion a sonné pour les régiments de cavalerie légère de l’armée de Terre. Les premiers véhicules Jaguar désormais livrés, les cavaliers vont progressivement remiser leurs AMX-10 RCR et ERC-90 Sagaie pour s’approprier un engin de nouvelle génération avec l’appui du 1er régiment de chasseurs d’Afrique (1er RCA) de Canjuers.

Douze années de développement et un investissement de 2 Mds€

L’histoire du Jaguar démarre en 2009, date à laquelle l’armée de Terre exprime un besoin opérationnel pour un futur engin de cavalerie médian. C’est le programme Engin blindé de reconnaissance et de combat (EBRC), lancé autour de quatre enjeux : la mobilité opérative, la souplesse d’emploi, la protection et l’agression. Une vingtaine d’études amont et technico-opérationnelles sur des sous-ensembles menées par la DGA permettront ensuite d’établir « des architectures possibles ». Des architectures très différentes résultantes d’arbitrages tels que « blindé à roues ou chenillé ? », « 6×6 ou 8×8 ? », « tourelle habitée ou téléopérée ? » ou « blindage d’un seul tenant ou doté de kits additionnels ? ». Le tout, en conservant impérativement la cohérence avec les autres piliers de Scorpion, programme de renouvellement des capacités médianes de l’armée de Terre.

Le dialogue conduit entre la DGA, les forces et les industriels a circonscris le choix à quatre architectures, puis à deux avant de parvenir à l’architecture de référence : un véhicule 6×6 doté d’’ne tourelle habitée combinant un système d’arme principal avec un missile et un tourelleau téléopéré. Le Jaguar était né, solution ambitieuse ne reposant, à quelques exceptions près, sur aucune composante existante. Et si les premières livraisons auront été quelque peu décalées, c’est aussi parce que le Jaguar reste un « objet technologiquement extrêmement complexe », rappelle le colonel Damien Sandeau, officier de programme Scorpion au sein de l’état-major de l’armée de Terre.

Des 10 Mds€ prévus pour financer le programme Scorpion, 2 Mds€ sont fléchés pour le développement, l’acquisition et le soutien du successeur des VAB HOT, ERC-90 Sagaie et AMX-10 RCR en service depuis 40 ans. Des 300 Jaguar attendus pour 2030, la moitié devait à l’origine être remise aux forces au cours de cette loi de programmation militaire. L’actualisation intervenue l’an dernier a changé la donne, aboutissant à raboter de 5% la cible fixée pour 2025 afin d’alimenter la rénovation du Leclerc et le lancement du véhicule blindé d’aide à l’engagement (VBAE). Seuls 135 Jaguar seront donc livrés à d’ici à fin 2025 au lieu des 150 prévus.

Deux commandes pour 20 et 42 véhicules ont été actées en avril 2017 et septembre 2020. Une nouvelle tranche de 88 véhicules est annoncée pour 2022. Des 20 premiers véhicules reçus en décembre dernier par la DGA, 18 sont arrivés au 1er RCA, centre de perception et de formation unique pour les Griffon et Jaguar. Ce premier lot sera rejoint par 18 véhicules supplémentaires en 2022. Ils vont permettre d’entamer une nouvelle phase, celle de la transformation des équipages des sept régiments* de cavalerie légère de l’armée de Terre. Le 1er régiment étranger de cavalerie (1er REC) de Carpiagne ouvrira le bal en mai prochain, suivi début 2023 du régiment d’infanterie chars de marine (RICM) de Poitiers.

Premiers tours de roues en tout-terrain à Canjuers pour le successeur des VAB HOT, Sagaie et AMX-10 RCR

« De la 2G à la 5G »

Qu’il s’agisse de la chaîne cinématique, des capteurs, de la vétronique ou de la puissance de feu, le Jaguar condense les dernières avancées technologiques dans chaque segment. Pour le cavalier français, cela équivaut à passer « de la 2G à la 5G ». Première évolution différenciante, la mobilité. Avec ses 25 tonnes en ordre de combat, son moteur Volvo de 500 chevaux et ses trains directeurs, le Jaguar profite d’un rapport poids-puissance et d’une manœuvrabilité supérieurs aux générations précédentes.

Véhicule 4×6 crabotable en 6×6, le Jaguar frise les 90 km/h sur routes et chemins et atteint 70 km/h en tout-terrain. Son train arrière directionnel lui assure un rayon de braquage réduit à 17 mètres, « ce qui est très court par rapport à sa taille », commente un instructeur du 1er RCA. Le Jaguar est doté d’un système d’inverseur lui permettant de reculer à 25 km/h dans une côte de 10%. Son réservoir de 500 litres offre jusqu’à 800 km d’autonomie.

La hauteur de caisse est ajustable grâce à un système hydraulique à quatre positions : « parc » pour permettre l’embarquement sur wagon ou pour un stationnement de longue durée, puis route, intermédiaire et tout-terrain. Dans le dernier cas, l’élévation maximale de 47 cm autorise un passage à gué de 1,2 m et le franchissement d’un obstacle haut de 50 cm. Le Jaguar affiche une masse de 22 tonnes à vide et de 25 tonnes en ordre de combat, ce qui est la ligne rouge à ne pas dépasser pour conserver la capacité d’aérotransport sur A400M. L’armée de Terre est cependant parvenue à conserver une réserve de masse de 300 kg primordiale pour accueillir de futures évolutions.

Une vingtaine de capteurs constituent les yeux et les oreilles de l’équipage. Les données récoltées par ces optiques, caméras et autres dispositifs de détection d’alerte laser et de tirs acoustiques viennent alimenter la « bulle Scorpion » par l’intermédiaire du système SICS et de la radio CONTACT. L’équipage dispose de deux voies optiques et deux voies numériques sur la tourelle, auxquelles s’ajoute un ensemble d’épiscopes, dont cinq sont en réalité augmentée. Grâce à SICS et au partage d’informations qu’il induit, la désignation de cibles par un ami, par exemple, sera affichée sur trois épiscopes du chef d’engin, un épiscope du tireur et un épiscope du pilote.

Le Jaguar profite d’un niveau de protection classifié contre les mines et les engins explosifs improvisés. Au-delà de l’épaisseur de blindage, l’architecture du dessous de caisse a été conçue autour de points durs « réfléchissant » l’effet de souffle vers l’extérieur. Mieux protégé que ses prédécesseurs, le Jaguar pourra « se maintenir plus longtemps dans la zone de combat et ne pas chercher nécessairement l’évitement », explique le lieutenant-colonel Joffrey, officier de programme Jaguar au sein de la Section technique de l’armée de Terre (STAT).

Utilisateurs et industriels ont directement pris en compte certaines technologies susceptibles d’améliorer les opérations de soutien et augmenter la disponibilité technico-opérationnelle (DTO), tels que les capteurs de type HUMS. Sur ce point, les objectifs sont différenciés en fonction du contexte d’utilisation : le maximum en opération extérieure et à peu près 70% en métropole. La cible reste pour l’instant difficile à évaluer pour les OPEX, la soutenabilité sur théâtre étant « quelque chose qui va continuer à se développer sur les deux prochaines années ».

Le retour du couple missile-canon

Véhicule de combat avant tout, le Jaguar emporte trois types d’armements. Premièrement, un canon 40 CTA de calibre 40 mm conçu par Nexter et BAE Systems au travers de la coentreprise CTA International (CTAI). Innovant et compact, ce canon dispose dès l’origine d’un site élevé de 45° conférant au Jaguar la capacité de traiter « des aéronefs lents », conformément au besoin exprimé. Si, en 2009, l’armée de Terre ciblait surtout les hélicoptères, la logique vaut désormais pour les micro et mini-drones. « Il faut avant tout que la menace vole suffisamment lentement pour que la vitesse de rotation de la tourelle puisse permettre à la conduite de tir de la suivre », commente le lieutenant-colonel Joffrey.

Le tireur dispose d’un panachage de 180 obus télescopés, dont 65 prêts au tir. L’armée de Terre a retenu quatre types de munitions : obus d’exercice (BOAT ou OXT), obus flèche (OFLT), obus explosif traçant (OET), obus explosif traçant chronométré (OET CHR). L’obus flèche est efficace jusqu’à 3000 mètres, les trois autres à 2500 mètres. Les modèles OFLT et BOAT sont déjà qualifiés et en service. L’obus OET arrivera cette année. La quatrième munition, une variante « airburst » correspondant à la référence GPR-AB-T de CTAI, devrait être qualifiée en 2023. Malgré leur qualification, ces munitions ne seront pas nécessairement directement disponibles. Réparti entre la France et le Royaume-Uni, leur cycle de production est complexe. « L’obus le plus ‘simple’ repose sur 17 sous-ensembles qu’il faut assembler », pointe le lieutenant-colonel Joffrey.

Le tourelleau téléopéré T3, ensuite, armé d’une mitrailleuse MAG 58 de 7,62 mm. Conçu par Arquus, il diffère des T1 et T2 montés sur Griffon et Serval de par son architecture combinant les fonctions d’observation et de visée et d’armement secondaire du Jaguar. Contrairement aux deux autres modèles, ce TTOP comprend un viseur PASEO intégré sur une couronne indépendante qui pourra être manœuvrée par le chef d’engin et le tireur. Le tourelleau T3 opère donc selon trois axes : l’un pour le PASEO, le second pour la mitrailleuse et le troisième pour le canon de 40 mm.

Enfin, le missile MMP de MBDA confère une capacité antichar contre des cibles blindées ou protégées jusqu’à 4000 mètres. Deux munitions sont prêtes au tir dans le pod déployable installé dans le flanc droit de la tourelle. Deux munitions supplémentaires sont stockées dans la nuque de tourelle, un emplacement moins soumis aux vibrations.

Pour les équipages, il s’agit de s’approprier le couple canon-missile, une configuration qui n’avait plus été adoptée depuis les années 1960 et l’adoption de l’AMX-13 SS.11. Avec le MMP, « le métier antichar entre dans la cavalerie médiane, là où il n’était pas auparavant. Cela induit des manières différentes de travailler et d’appréhender les menaces. Avant, l’AMX-10 RCR n’allait peut-être engager un char que s’il se trouvait en combat de rencontre et pouvait se dégager rapidement. Désormais, l’équipage peut décider de se cacher et de tirer un missile. En traitant les cibles de 0 à 4000 mètres, le Jaguar se retrouve dans le même segment qu’un char Leclerc. Certes, avec des moyens différents, mais dans une allonge identique », précise l’officier de la STAT.

Les munitions télescopées retenues pour le programme EBRC : entraînement, explosif, explosif chronométré et flèche
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