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Une nouvelle politique de défense pour l'Italie ?

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Dans leur accord de gouvernement, le Mouvement 5 Étoiles et la Ligue du Nord n’accordaient que peu de lignes à leur projet pour la défense et leur position eurosceptique laissait présager quelques changements dans l’attitude italienne. Auditionnée par la commission de défense du parlement italien, la ministre de la Défense, Elisabetta Trenta en a enfin dit d’avantage : missions internationales, OTAN, Europe de la Défense, budget, investissements d’avenir sont les priorités du nouveau cabinet. Si elle entend effectuer des révisions, la ministre n’entre pas en rupture avec la politique du gouvernement sortant. 
 

La ministre italienne de la Défense, Elisabetta Trenta et le chef du gouvernement Giuseppe Conte (Crédits : ANSA)

La ministre italienne de la Défense, Elisabetta Trenta et le chef du gouvernement Giuseppe Conte (Crédits : ANSA)


 
Trenta a répondu aux attentes de ceux qui trouvaient le programme de la coalition trop léger et trop imprécis sur les questions de défense en dressant les grandes lignes programmatiques de son discero pour les années à venir devant les parlementaires fraîchement (ré)élus. Pas de bouleversements prévus ou de grandes promesses énoncées, la ministre ouvre avant tout la porte à la discussion. Que ce soit pour les relations internationales (UE-OTAN, Italie-UE, Italie-OTAN, missions extérieures) ou pour les relations nationales entre la défense et le civil, elle propose de revoir les rapports à l’avantage de l’Italie sans s’en prendre pour autant à ce qui a été longuement construit par ses prédécesseurs.
 
Militante au parti contestataire M5S, Trenta se retrouve aujourd’hui à établir une nouvelle politique de défense italienne qui puisse se faire l’écho de la voix des électeurs à l’heure de la coopération internationale. Les Italiens ont des rêves, le Monde a ses réalités, et Trenta a la dure tâche d’y faire vivre la défense de son pays.
 
Sur le plan international, elle annonce une « réévaluation » des missions internationales, une intention qui était visible dans le programme de la coalition. Des révisions doivent intervenir pour rééquilibrer le rôle de l’Italie en fonction de ses priorités. La majorité parlementaire veut savoir pour quoi et pour qui elle (paye et) envoie ses soldats à l’étranger. Si l’Italie ne le fait pas pour elle-même ou au pour moins ses alliés, alors ces soldats feraient mieux de rentrer où d’être déployés ailleurs.
 
Pour rappel, la posture du nouveau gouvernement, sorte d’Italie d’abord, est assez compliquée : d’un côté elle soutient sa participation à l’OTAN et son rôle international pour la paix et la sécurité de l’Europe, d’un autre, elle s’oppose – ou s’opposait du moins – aux « ordres de Bruxelles » et s’affiche en total désaccord sur la question de la Russie qui n’est pas considérée comme une menace mais comme un partenaire.
 
Finalement, ce qui ressort des propos de Trenta est plutôt encourageant pour les suites de la coopération régionale et internationale. Selon elle, l’Alliance atlantique est « l’organisation de référence pour assurer un cadre de sécurité adéquat pour toute la région euro-atlantique et pour exercer la dissuasion et la défense militaire contre toute menace ». Et elle promet de continuer « à promouvoir toutes les initiatives pour guider et renforcer l’Alliance vers la Méditerranée et au Moyen-Orient afin de répondre, de manière systémique, la crise continue et l’instabilité dans cette région ».
 
Sur l’UE, la ministre italienne s’est montrée positive : l’Italie a participé à l’Europe de la Défense, elle n’arrêtera pas en si bon chemin, elle s’engagera pleinement dans la coopération structurée permanente et le fonds européen de défense. Elle a souligné aux parlementaires que « L’Italie a l’intention de soutenir et de renforcer les initiatives européennes, en particulier le FED », mais avec l’intention d’éviter les « doubles emplois » avec L’OTAN.
 
Alors, pour les missions internationales, si la « réévaluation » – de la mission en Afghanistan par exemple qui pourrait passer de 900 à 700 hommes – se fera « sur la base de l’intérêt national », « Dans les opérations visant à rétablir la stabilité internationale, l’Italie conservera son rôle de chef de file et poursuivra ses efforts pour apporter des réponses et faire face aux diverses menaces auxquelles » elle est confrontée aujourd’hui. Questionnée par les parlementaires sur la mission extérieure au Niger, la ministre a expliqué que l’Italie était toujours déterminée à assurer la sécurité de ses partenaires et la stabilité dans la région, mais que cela dépendait du gouvernement nigérian lui-même.
 
Bien qu’elle ne soit pas ministre des Affaires Étrangères, cette spécialiste des questions de sécurité internationale devrait s’engager dans de nombreux dossiers diplomatiques, comme celui de la Libye et de l’immigration clandestine, où elle cherche à concurrencer la France dans son action. Si la militante du M5S ne s’en prend pas à Bruxelles dans ses déclarations, elle est moins agréable avec Paris : « Il y a un accord en Europe appelé Pesco, et l’IEI ne fait rien de plus que de prendre les pays qui le rejoignent, plus la Grande-Bretagne et de lui donner une mission similaire » a-t-elle ainsi déclaré par exemple sur l’initiative européenne d’intervention chère à Emmanuel Macron, préférant « donner la priorité à ce qui est décidé en Europe ». De son avis, « le contenu est acceptable » mais le nom est confus : de quel type d’intervention parle-t-on ? Civile ou militaire ? Si elle est militaire ça « laisse une certaine incertitude sur les objectifs de l’initiative », si elle est civile « l’accord n’est pas signé par les ministres de la Défense ». Malgré ces piques dirigés tout droit sur Paris, elle n’exclut pas la « possibilité de rejoindre plus tard ».
 
 
Pour ce qui est de l’industrie de défense et des questions domestiques, Trenta explique avoir souri lorsque Donald Trump a dit exiger des États-membres de l’OTAN 4% du PIB à destination de la défense, « nous nous sommes regardés et nous avons souri: nous pensions que 2% était inaccessible » a-t-elle raconté devant la commission. C’est certain, l’Italie ne prévoit pas de gonfler son budget de défense. Bien que la ministre dit soutenir l’objectif des 2% du PIB, le pays se trouve plus sur la pente descendante qu’ascendante. Effectivement, selon le ministre des Affaires Étrangères du pays, seul 1,18% du PIB italien était consacré à la défense en 2018, et la part de l’effort devrait encore se réduire l’an prochain.
 
Bref, la ministre de la Défense ne s’est pas attardée sur la question du budget et a préféré appuyer sur deux priorités pour la défense : résilience et double-usage. La résilience serait alors « la capacité de s’adapter au changement, dans ce cas le changement de la menace auquel notre pays est confronté », c’est-à-dire « une menace hybride et multiforme, qui nous place devant de nouveaux objectifs, de nouveaux défis et cela nous pousse vers une révision précise du concept même de la défense ». Et la question du double-usage correspondrait à « la prise de conscience de devoir soutenir et, en même temps, élargir les possibilités de double utilisation des capacités de défense à des fins non militaires et à l’appui de la résilience elle-même ». Tous deux s’inscrivant dans une nouvelle stratégie visant à « accroître la sécurité collective du pays contre toutes les menaces qui peuvent perturber le bon déroulement de la vie des citoyens ».
 
Dans cette stratégie, le collectif viendra transformer le concept de défense par « la collaboration entre les ministères, mais aussi avec l’industrie, les universités, la recherche et le secteur privé » pour la « protection exclusive des intérêts nationaux » où chacun pourra participer à la sécurité dans sa globalité. Les différents acteurs pourront collaborer grâce à la création de « centres de compétences hautement spécialisées » qui « favorisera le transfert de technologie et de l’innovation dans les processus de production ». Ces centres d’expertise seront supervisés par « un centre d’opérations au sein du ministère », qui aura également pour mission de soutenir les PME, les universités et le monde de la recherche. En clair, comme son homologue française, elle compte faire profiter aux forces armées des avancées technologiques dans le civil le plus rapidement possible et au meilleur prix.
 
Outre ces grandes lignes, la ministre s’est également engagée à améliorer les conditions de travail des militaires italiens. Plan famille, organisation syndicale, promotions méritocratiques, protection de santé, le social sera l’un de ses premiers travaux d’une ministre qui a déjà longuement communiqué à ce sujet. Un autre travail sera de développer la cyberdéfense italienne – suivie de la big data et de l’intelligence artificielle, la ministre assurant qu’un certain nombre de programmes d’acquisition avaient été lancés à cet effet.
 
Il reste à savoir comment l’Italie se positionnera sur les programmes d’armement. Sur le F-35 américain et les drones (il y a un programme européen, le MALE et un programme italien, Trenta veut que l’Italie puisse profiter des deux), la ministre de la Défense a souligné qu’il y avait des « évaluations » en cours, sur les autres – futurs, italiens, en coopérations, européens, franco-allemands – pour l’instant, il y a le silence.
 

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