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Mercenaires russes en Syrie, en Ukraine, en Afrique… et ailleurs

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L’attitude plutôt offensive de la Russie dirigée par Vladimir Poutine induit l’implication massive d’unités mercenaires, illégales et plus ou moins secrètes mais soutenues par le gouvernement russe. Les « entrepreneurs militaires non étatiques » – notamment le tristement célèbre Groupe Wagner – sont utilisés pour effectuer le « sale boulot » dans les guerres du Kremlin. Dans ce genre de prestations, des équivalents américains et britanniques, disparus ou toujours en activité, ont souvent été à la « une » des médias au fil des décennies. Sans parler du célèbre Bob Denard pour la France…
 

Mercenaires du groupe Wagner dans le Donbass (photo : Kyiv Post)

Mercenaires du groupe Wagner dans le Donbass (photo : Kyiv Post)


Illia Ponomarenko, du Kyiv Post, rapporte que Wagner – qui a émergé comme un instrument de Moscou dans sa guerre menée en Ukraine, dans l’est du Donbass, depuis 2014 – continue d’opérer en Syrie. Ses sponsors russes obtiennent une part de la production de pétrole et de gaz dans ce pays déchiré par la guerre, où au moins 500.000 personnes ont été tuées depuis 2011.
 
Cette pratique s’est sans doute propagée bien au-delà de la Syrie et de l’Ukraine. Les services spéciaux ukrainiens, entre autres, rapportent qu’à partir de 2017, les mercenaires de Wagner ont commencé à se présenter dans d’autres points chauds dans le monde, en particulier en Afrique et dans la péninsule arabique.
 
La sous-traitance confiée par des gouvernements à des sociétés de sécurité privées pour effectuer un large éventail d’opérations, telles que la protection des navires contre les pirates en mer ou la protection des entreprises, n’est pas nouvelle. En 2012, selon le magazine The Economist, le marché mondial des services de sécurité privés valait au moins 100 milliards de dollars, les leaders étant des entreprises américaines, britanniques, israéliennes et russes. Les lois européennes ont restreint et compliqué le fonctionnement des entreprises françaises et britanniques dans ce créneau.
 
Dotées d’un armement principalement léger, étroitement encadrées du point de vue réglementaire, des douzaines de grandes sociétés de sécurité sont recrutées – principalement par des gouvernements occidentaux – pour aider leurs propres forces armées lors des conflits (voire même en temps de paix), notamment en déchargeant les troupes de diverses tâches non liées au combat, telles que l’entretien technique, la sécurité derrière les lignes et le gardiennage d’installations militaires, comme le fait la Belgique.
 
Mais dans ses dernières guerres, le Kremlin est allé bien au-delà de la sécurité traditionnelle. Selon le Service de sécurité de l’Ukraine, le SBU, et de nombreux rapports publiés dans les médias spécialisés ou non, le groupe Wagner s’est constitué début 2014 en tant que ramification de la société de sécurité privée russe « Le Corps Slave », enregistrée à Hong Kong. Après l’échec d’un déploiement pour un combat rapproché en Syrie, le corps est retourné en Russie début 2014, mais ses combattants ont été arrêtés en raison de leur statut de mercenaires, statut officiellement illégal en Russie. Néanmoins, l’un de ses groupes, dirigé par l’ancien officier des forces spéciales russes Dmitriy Utki qui porte le nom de code « Wagner », a été autorisé à devenir une force de combat non officielle à part entière ; il n’aurait aucun lien formel avec l’armée russe ou le Kremlin mais se battrait sous ses ordres.
 
À la fin mai 2014, le groupe Wagner, fort de 300 hommes, est apparu dans l’oblast (division administrative) de Luhansk, en Ukraine, alors que la Russie lançait sa guerre contre l’Ukraine dans le Donbass. Le groupe, avec d’autres forces russes, a participé à la bataille de l’aéroport de Luhansk et celle de Debaltseve entre mai 2014 et janvier 2015. Selon le SBU, ce sont des mercenaires de Wagner qui ont abattu un gros porteur quadriréacteur Iliouchine Il-76 « Candid » dans le ciel de Louhansk, tuant les 49 soldats ukrainiens présents à bord. En outre, le groupe Wagner est également responsable d’assassinats de plusieurs « seigneurs de guerre » à la tête de milices indépendantistes dans le Donbass, comme Oleksandr Bednov (connu sous le nom de « Batman ») qui aurait commencé à désobéir aux ordres du Kremlin. Dans les affrontements avec l’armée ukrainienne dans le Donbass, le groupe Wagner a perdu au moins 35 combattants tués au combat.
 
Mais le bilan de Wagner dans le Bonbass lui a valu un déploiement en Syrie, en août 2015, au moins un mois avant que l’armée russe n’intervienne officiellement en soutien du président syrien Bashar al-Assad, en septembre. Quelque 1.350 mercenaires de Wagner se sont joints aux forces pro-gouvernementales combattant dans les provinces de Lattaquié, Homs et Hama, dans l’ouest du pays. Selon les médias russes Fontanka, ainsi que de nombreuses autres ressources de la Russie, les mercenaires, depuis 2015, partagent une base avec la 10e brigade des forces spéciales russes près du village de Molkino, dans l’oblast de Krasnodar.
 
Pour sa mission en Syrie, le Groupe Wagner a rapidement recruté du personnel parmi les anciens militaires russes possédant diverses compétences spécialisées, ainsi que des hommes ayant l’expérience de la lutte contre l’armée ukrainienne dans le Donbass. Au début de 2016, le groupe comptait au moins quatre compagnies d’infanterie équipées de chars, d’artillerie et de roquettes et appuyées par un vaste réseau logistique. « Aucune compagnie militaire privée dans le monde n’a une puissance de feu aussi importante », a déclaré un agent de la SBU proche des enquêtes du service sur les activités de Wagner dans le Donbass, sous couvert d’anonymat, car il n’était pas autorisé à parler à la presse. « Nous sommes absolument certains que le Groupe Wagner n’est qu’une unité de renseignement militaire du GRU russe qui, étant donné son statut officieux, peut être utilisée comme une force de combat très efficace à l’étranger, sans que le Kremlin ni les agences militaires et de sécurité n’apparaissent ouvertement. »
 
En général, selon le SBU, pas moins de 5.000 combattants, pour la plupart des citoyens russes mais également environ 100 citoyens ukrainiens, 20 Serbes et 10 Biélorusses, ont servi dans le groupe Wagner pour un salaire mensuel de 300.000 roubles (4.800 dollars). En outre, bien qu’ils n’aient aucune allégeance officielle vis-à-vis de l’armée russe, les commandants et les combattants de Wagner reçoivent des décorations militaires russes officielles, a ajouté le responsable. Par exemple, le 9 décembre 2016, les principaux commandants de Wagner, dont Dmitriy Utkin lui-même, ont été décorés par le président Poutine au Kremlin. Pourtant, officiellement, travailler en tant que mercenaire en Russie reste contraire à la loi. Cherchez l’erreur…
 
À partir du début 2016, l’attention de Wagner s’est concentrée sur les provinces centrales et orientales de la Syrie, riches en pétrole, surtout la ville antique de Palmyre, alors occupée par le groupe terroriste Etat islamique, et sur les rives de l’Euphrate. La raison était simple : les champs gaziers et pétroliers rentables capturés et exploités par les islamistes devaient être repris.
 
Le média russe RBK a révélé que le groupe Wagner, qui n’a jamais été officiellement enregistré, était directement financé par Evgeniy Prigozhin, un restaurateur basé à Saint-Pétersbourg et une personne de confiance du cercle restreint de Poutine, souvent appelé « Le chef de Poutine » par les médias russes. En outre, fin décembre 2017, l’Associated Press a obtenu une copie d’un contrat de cinq ans conclu entre Evro Polis, une structure commerciale appartenant à Prigozhin, et General Petroleum Corp. La compagnie de Prigozhin obtiendrait « 25% du produit de la production de pétrole et de gaz dans les champs que ses entrepreneurs capturent et protègent des militants de l’Etat islamique », a rapporté l’agence de presse.
 
Toujours dans son excellent article sur les mercenaires de Wagner publié dans le Kyiv Post, Illia Ponomarenko rapporte que la guerre secrète du Kremlin pour les profits pétroliers en Syrie s’est avérée meurtrière pour des centaines de combattants de Wagner : le 7 février 2018, les forces de Wagner ont subi une défaite dévastatrice en tentant de prendre une installation gazière alors gardée par des forces américaines, près de la ville de Deir ez-Zor, dans l’est de la Syrie. Au terme d’une bataille de quatre heures, plus tard décrite comme un massacre, le groupe Wagner a eu au moins 100 tués et plus de 200 blessés, selon l’agence Reuters citée par Ponomarenko.
 
À partir de la fin de 2017, de nouveaux rapports montrent que l’activité de Wagner s’est étendue à d’autres zones de conflit à travers le monde. En janvier 2018, la compagnie de renseignement privée américaine Stratfor a déclaré qu’un certain nombre de mercenaires russes avaient été déployés au Soudan pour soutenir son président, Omar al-Bashir, dans sa guerre contre le pays sécessionniste du Soudan du Sud… et que la Cour Pénale Internationale tente en vain de juger depuis 2009.
 
Une nouvelle mission de Wagner aurait commencé après une rencontre entre Poutine et al-Béchir, fin décembre 2017, au cours de laquelle le président soudanais aurait demandé une assistance militaire. Selon Sergey Sukhankin, un membre de la Fondation Jamestown, la participation de Wagner doit être payée par l’octroi d’un large éventail de privilèges aux entreprises russes dans les mines d’uranium et de diamants soudanaises.
 
De plus, à la fin de 2017, selon des sources du renseignement SBU, un certain nombre de mercenaires de Wagner ont été repérés au Yémen, vraisemblablement du côté des forces gouvernementales, dans leur guerre menée contre un soulèvement chiite qui a débuté en 2014. Et selon Sukhankin, un autre groupe de mercenaires de Wagner a été déployé en République centrafricaine au début de l’année 2018 pour soutenir le gouvernement local dans la violence ethnique et sectaire de longue date dans le pays et assurer un accès privilégié aux entreprises russes aux ressources du pays. Nous renvoyons le lecteur à notre article paru sur Force Operations le 23 mai 2018.
 
On ne risque donc pas grand-chose à prédire que les mercenaires du groupe Wagner feront de plus en plus parler d’eux partout où Moscou aura besoin de ces serviteurs « consommables » asservis à ses intérêts économiques et géopolitiques dans le monde.

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